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Chronique de disque
Damon Albarn - Everyday Robots

27 avril 2014
Rédigé par François Freundlich




Damon Albarn - Everyday Robots

Sortie le 28 avril 2014

Note : 4/5





On ne présente plus l’omniprésent Damon Albarn, leader des groupes Blur, Gorillaz, The Good, the Bad & the Queen et autres moult projets couvrant un spectre allant d’opéras à la musique africaine. Celui que certains n’hésitent pas à hisser au niveau de Lennon et McCartney dans sa maîtrise de la musique pop sort finalement un album solo fusionnant magiquement toutes ses influences pour former un disque très personnel, intimiste et touchant.

Everyday Robots prend la forme d’une constatation sur la robotisation d’un monde déshumanisé et individualiste, Damon Albarn s’interrogeant sur les rapports humains, la solitude et le manque de communication. Il s’affiche seul devant un fond gris sur cette pochette où il regarde le sol, comme découragé. Sa voix détachée et nonchalante semble vouloir s’échapper à chaque instant, sur chaque morceau. Dès le trio d’ouverture de l’album, le londonien fait parler son talent de compositeur et d’arrangeur avec des titres mélancoliques aux arrangements de cordes assez fabuleux emplis de Tender(ness). Les titres semblent évoluer au ralenti, s’évaporant dans une atmosphère intemporelle entre légère guitare acoustique, xylophones frétillants, rythmique lourde et chœurs gospel. Des gimmicks caractérisant la robotisation des esprits se répètent sur bon nombre d’entre eux, comme cette boucle de violon samplée sur le morceau d’ouverture Everyday Robots, angoissante comme une douche hitchcockienne. Ces violons planent comme une menace sur un titre pourtant profond et caressant, doté d’une voix émouvante à chaque intonation. Ces intonations de voix sont la grande force du disque, mais l’hostilité s’y infiltre subrepticement comme le rappelle la voluptueuse Hostiles ou Lonely Press Play, semblant perpétuellement en retard d’un temps. 

C’est un titre ensoleillé et hawaïen qui rompt la mélancolie ambiante : Mr Tembo nous donne subitement envie de hocher la tête. Cette composition à part, à propos d’un éléphanteau croisé en Afrique, est teintée de chœurs féminins faisant ressortir l’amour du songwriter pour la musique originelle du continent. On imagine presque une troupe d’éléphants marchant en remuant la trompe en suivant Mowgli Albarn sur ce titre heureux écrit pour sa fille. Il clôture ainsi la première partie de ce disque en trois actes, qui entre dans une phase aux sonorités plus électroniques rappelant davantage Gorillaz. Les morceaux s’emplissent de basses sourdes, de beats minimalistes pour des instrumentaux s’étendant au-delà de toute structure, à l’image de ce You & Me accompagné d’un featuring de Brian Eno. Une autre participation est celle de Natasha Khan (Bat For Lashes), assez discrète sur les chœurs de The Selfish Giant, où un piano classique à dérivation électro-jazzy soulève une voix qui vient nous susurrer au plus près de l’oreille. L’ambiance se fait plus sombre et désabusée avec Hollow Pounds, titre le plus cafardeux du disque avec son orgue pesant, ses chœurs dramatiques et ses trompettes planantes. On se laisse envahir par les ténèbres dans un final chaotique : oh no ! darkness !

La fin de l’album renoue avec une spiritualité présente dans plusieurs compositions de Damon Albarn. L’électricité semble se balader en permanence sur les bruits samplés de Photographs (You Are Taking Now). Damon retrouve les chansons d’amour sur The History Of A Cheating Heart, ballade dépouillée et cosmique aux violons glissants ou sur Heavy Seas of Love, le titre final étant le plus marquant du disque. Il contient en effet le refrain pop le plus accentué avec cette chorale gospel portée par la voix de Damon qui s’affole davantage en forçant un léger décalage plutôt bien vu. Un morceau de gospel pop en 2014, Damon Allbarn n’a peur de rien : Heavy Seas of Love est bien la preuve que son génie n’a pas de limite.

Plus qu’un album intimiste, Everyday Robots est un album intime qui nous porte au plus près de Damon Albarn. Il nous livre une vision pessimiste et mélancolique du monde, même si une note d’espoir finale est néanmoins présente. Les compositions et les arrangements impressionnent, Damon Albarn s’échappe de la pop pour aller encore plus loin dans sa recherche de sonorités multiples et fusionnées. Ceux qui attendaient des tubes immédiats à la Blur ou Gorillaz resteront sur leur faim, Damon Albarn a forgé son écrin lui-même, en dehors de tout format, dans son propre espace-temps.