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Live-Report
Festival Supersounds : Owen Pallett, Oiseaux-Tempête, Appaloosa, ZEUS!

07 mai 2015
Rédigé par François Freundlich

Le chat jaune en Centre-Alsace : deuxième partie. Pour le coup, nous sommes bien contents de rejoindre Colmar, la seule ville où il fait toujours beau quand la tempête sévit partout ailleurs. On devrait y faire un festival, tiens. Ah oui, il y en a un : le Supersounds, qui accueille pour cette journée le génie Owen Pallett (violoniste et arrangeur de Arcade Fire), les Parisiens de Oiseaux-Tempête, ainsi que deux groupes italiens : Appaloosa et ZEUS!

C’est par ce dernier groupe que débute cette soirée qui prendra la forme d’un decrescendo bruitiste. Autant dire que ZEUS! est le groupe qui jouera le plus fort de la soirée. Les deux barbus torse nu s’en donnent à cœur joie dans leur « métal en opposition » : les Bolognais envoient la sauce, le steak et toutes sortes d’organes. Le batteur tabasse tout ce qu’il peut, tandis que le bassiste hurle sa rage sans demander son reste. Leur duo drum & bass revêt des habits math rock avec cette rythmique saccadée qui défie en permanence le compteur de décibels du Grillen. Ça prend des poses en bass hero devant les pédales de fuzz en ne relâchant jamais l’intensité de la distorsion agressive. Les titres sont plutôt courts mais on ne s’en plaindra pas, s'il fallait refaire un concert de métal depuis ses 16 ans, c’était celui-là.

On reste en mode Rimini avec Appaloosa qui montent sur leurs grands chevaux sur la grande scène du Grillen. La batterie est placée au centre de leur dispositif faisant s’élever un math rock psychédélique enflammé par les beats électroniques d’un synthé et d’un laptop. Des penchants techno-noise ressortent de la musique instrumentale d’Appaloosa : on sent l’expérience du quatuor italien dans la maîtrise au millimètre de leurs morceaux qui force l’admiration. La section rythmique tonitruante tourbillonne sans cesse pour prendre l’ascendant sur la mélodie synthétique qui tente de se frayer un chemin via quelques blips étranges qui ne sont pas sans rappeler Public Service Broadcasting. Les amples orchestrations s’évadent au galop dans de longs développements dansants. Les Italiens auront en tout cas fait trembler les murs.

Nous attendions impatiemment le trio parisien Oiseaux-Tempête : ils ont été fidèles à la réputation de renouveau du post-rock qui les précède. Leur set hypnotique va nous emmener très loin dans les abysses entre les longs développements inquiétants et les explosions électriques sous tension. L’archet crisse sur la guitare comme un oiseau affolé, nous enveloppant dans des moments de quiétude avant la tempête, tandis que les pédaliers sont mis à rude épreuve lorsque les deux guitaristes s’y recroquevillent. Les influences free-jazz ressortent lorsque le saxophone est sacrifié sur l’autel de l’expérimental pour repousser toujours plus loin les limites de leur constante recherche sonore. Le cataclysme géant qui s’abat à chacun de leurs développements nous fait frémir sans pour autant tenter de comprendre les mille et une notes foisonnant à l’avant de lourds embrasements survoltés. « Too many notes » disait l’autre, mais les oiseaux ne s’arrêtent jamais de siffler.

La tête d’affiche de la soirée s’installe finalement sur la scène du Grillen : Owen Pallett est seul pour commencer un concert qui s’annonce mémorable. Il avoue d’emblée qu’il n’a jamais joué devant une audience aussi réduite : chanceux que nous sommes. Armé de son violon dont il parvient à faire sortir mille et une sonorités avec une foultitude de techniques, il enregistre sur ses pédales le rythme, la mélodie et les couches instrumentales d’arrangements pour pousser chaque composition toujours plus loin dans des sonorités audacieuses et inquiétantes. Le Canadien y ajoute finalement sa voix précise et précieuse, d’une maîtrise impressionnante. Son archet ou ses doigts vibrent sur ses cordes alors que le génie tremble de tout son corps pour lier parfaitement l’organique au synthétique. Car lorsqu’il repose son violon, jamais pour très longtemps, il se sert de son clavier pour habiller ses morceaux de sonorités électro-pop tarabiscotées. Il sera rejoint par un batteur et un guitariste en retrait par rapport au chef d’orchestre des longues symphonies en mouvement perpétuel. Nous ne pouvons qu’être éblouis devant tant de grâce et de folie maîtrisée malgré un Owen Pallett qui reste très sérieux dans l’effort. Avouons qu’une concentration massive est nécessaire pour maintenir un tel niveau. Owen Pallett a exalté la pop dans ses cachettes les plus profondes pour nous livrer une prestation extatique. Les quelques dizaines de chanceux présents s’en souviendront longtemps.

Le festival Supersounds se termine sur ce moment de grâce et une seconde soirée aussi réussie que la première. Entre les assauts bruitistes du début et le règne des archets de la fin de soirée, nous repartons la tête pleine de nouvelles inspirations.