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Live-Report
Godspeed You! Black Emperor + Xylouris White - La Laiterie

15 mai 2015
Rédigé par François Freundlich

Voilà plusieurs mois que nous attendions de voir le groupe culte Godspeed You! Black Emperor dans un espace réduit comme La Laiterie, après les avoir croisés seulement en festival. C’est donc depuis les premiers rangs que nous parvenons à observer les Canadiens multitâches dans leurs nombreuses extravagances. En première partie, un duo insolite s’installe, répondant au curieux nom de Xylouris White.

Le groupe est composé du joueur de luth crétois Giorgos Xylouris, une icône dans son pays, et de Jim White, batteur américain virtuose du groupe Dirty Three (avec Warren Ellis) ayant collaboré avec PJ Harvey ou Cat Power. Ce décor étant posé, nous assistons à une performance unique en son genre, un concert d'un style auquel nous n’avons jamais été confrontés auparavant. Inspirées par la musique folk crétoise, leurs compositions à rallonge s’étendent à mesure que le batteur impressionnant accélère toujours plus la cadence, à l'image d'une marche turque (ou grecque pour le coup) jouée au luth. Devant nos yeux ébahis, le duo pousse toujours plus loin ses limites avec une complicité non dissimulée. Ces deux techniciens hors pair s’expriment pleinement, autant dans la maîtrise du luth qui sonne divinement ou dans les envolées de batterie devant lesquelles J.K. Simmons se serait prosterné sans sourciller. Comble du comble, ils semblent jouer ces morceaux d'une complexité folle d’une manière aussi détendue que souriante. Cette soirée débute de la manière la plus étonnante qui soit : Xylouris White nous laisse complètement bluffés et remués.

Les lumières rouges s’allument, l’écran géant aux images psychédéliques se déploie et le premier sursaut bruitiste originel se fait entendre avec l’arrivée des Godspeed You! Black Emperor. Leur introduction sur Hope Drone nous place directement dans l’ambiance avec cette longue montée de guitares acérées et bruitistes répondant aux résonnances de violon et violoncelle. Ils sont huit musiciens en tout et pourtant, on a l’impression qu’ils embarquent suffisamment de matériel et de pédaliers pour un régiment complet. Les longues plages extatiques s’étendent dans une langueur parfois monotone pour ne jamais exploser complètement et nous laisser dans de lentes évolutions en permanente mutation. On admire Sophie Trudeau s’exprimer sur son violon, formant souvent la mélodie principale, tandis que les guitaristes montent en permanence un volume qui atteint des sommets sur les passages les plus abrasifs.  Efrim Menuck reste assis paisiblement derrière ses cheveux alors que la furie se déploie derrière lui. Les Godspeed restent impassibles et concentrés mais leur musique exigeante les y force : on n’a pas affaire au chanteur aux mains nues. Encore plus pour du post-rock instrumental. À de nouveaux morceaux succèdent les plus connus Mladic, extrait de leur avant-dernier album qui a signé leur retour en 2012 ou Moya, extrait de leur album culte de 2000 : Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven. La première voit les guitares heavy s’enflammer dans des vêtements orientaux tandis que la seconde reste dans une introspection liquéfiante. Il est sûr qu’avec des morceaux de plus de 15 minutes, il faudra rester dans l’attente sur certains passages moins appréciés. La seconde partie du concert est consacrée à l’adaptation live intégrale du nouvel album Asunder, Sweet and Other Distress pour des atmosphères plus inquiétantes et des plongeons permanents dans l’inconnu. Deux heures et trente minutes de Godspeed laissent forcément une trace dans les tympans, surtout en suivant chacun de leur mouvement depuis le deuxième rang. On fera des économies de cotons-tiges dans les jours suivant ce concert assez grandiose.

Suivre un groupe aussi important que Godspeed You! Black Emperor dans de telles conditions restera comme une expérience marquante et totalement différente que de l’écouter allongés dans l’herbe barcelonaise en regardant les étoiles, lors du Primavera Sound Festival. Mais les deux performances furent tout aussi vibrantes.