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Chronique de disque
Orgasmic & Fuzati - Grand Siècle

30 avril 2014
Rédigé par Florian Sallaberry

 

 

Orgasmic & Fuzati - Grand Siècle 

Sortie le 21 avril 2014

Note : 4,5/5

 

 

 

"A la fois old-school et moderne, comme un texto de ta grand-mère", Fuzati pose le niveau dès la première punchline de l’album, soutenu par un beat très lourd de Orgasmic. 10 ans après, les deux se retrouvent, le Klub des loosers a pris ses libertés sans Orgasmic occupé avec les compères de TTC. Le temps d’un album, à part de la galaxie du Klub, Fuzati et Orgasmic composent à quatre mains l’un des meilleurs disques hexagonaux de l’année : Grand Siècle.

Fuzati n’aime toujours pas beaucoup les gens, "ils sont tous terre à terre" et "de plus en plus con", mais s’aime un peu plus quand même, fini les envies d’en finir ("tout ne tient qu’à un fil, à une corde mais j’me suis détaché") , le tout appuyé par un son moins sombre et désespéré que celui du Klub. Les compositions sont plus planantes comme sur « Ola » ou « Le Fluide » ou carrément électro sur « Nulle Part » qui rappelle le travail d’Orgasmic sur les albums de TTC. On pense aussi au son d’A$AP Rocky, sur Chaîne en or.
Les textes sont toujours aussi précis, Fuzati ne balance pas ses paroles au hasard, faisant de nombreuses allusions à la pop culture : on croise pêle-mêle Jean-Pierre Stevens, Tori Spelling, Serpico, Winogrand ou Vincent Perrot. Il nous offre l’occasion de rouvrir nos cours de français du collège : métaphore filée (les Goonies dans Sinok), allitérations ("C’était pas l’avis des videurs, pas invité pour la vie d’or") ou comparaisons ("comme un hymen dans une partouze"). L’homme au masque, entre humour et lucidité, crache sa haine de cette "génération d’illettrés", glissant quelques belles formules : "T’as eu ton bac mention bien ou bien ?" ou "Recalé du Klub des 27, à jamais malheureux".
Si Fuzati a de la rancœur c’est surtout à propos des rappeurs. Le rap est mort, il "tire au stylo sur des corbillards", mais il n’est pas pour autant dans le clash. Il a une longueur d'avance (Chaîne en or) et laisse ces enfantillages aux rappeurs qui "se battent pour des histoires de trône", trouve que certains ne sont que de "vulgaires copies", d’autres "des gamins colons qui voudraient ramener du Boom-Bap" comparés aux Hansons, bloqués dans les années 90. Il écorche ainsi une grande partie du paysage hip-hop hexagonal : respectivement Rohff et Booba, Orelsan et 1995
Dans la même idée, le titre Tupac semble faire écho au 2pac du dernier album de Booba où le boulonnais, un peu présomptueux, se vantait de rapper comme 2pac. Fuzati, lucide, a conscience de son flow si particulier ("Même dans la vie je suis off-beat"), et ironiquement c’est son épicier qui l’appelle "Two-packs", comme les 12 bières qu’il s’enfile avant de prendre le micro.  

Le stylo-bic bien affuté, peut-être un peu moins pessimiste qu’avec le Klub, Fuzati écorche une époque qui ne lui correspond pas, où le hip-hop est enterré. Un album dont on ne sort pas indemne, assommé par les punchlines dévastatrices du rappeur versaillais :"Dans la vie rien est gratuit, sauf la violence évidemment"