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Live-Report
Protomartyr + Shake Shake Bolino au Mudd Club

24 novembre 2015
Rédigé par François Freundlich

Quoi de meilleur qu’un concert d’un obscur groupe de post-punk de Detroit dans la cave d’un club surchauffé pour se remettre d’aplomb ? Bon ils ne sont pas si obscurs que ça les Protomartyr, puisqu’en pleine tournée européenne et en revenant de l’Allemagne vers Paris, ils ont fait un arrêt  au Festival Supersounds pour jouer au Mudd, ce club bien connu des Strasbourgeois. En première partie, un autre groupe a fait le chemin inverse depuis la capitale : le duo exalté Shake Shake Bolino.

De « shake your booty » à « shake your bolino » il n’y a qu’une syllabe dont les amateurs de plat préparé en pot sont fort justement prêts à s’affranchir. Il s’agit du projet du guitariste de Cheveu, Etienne Nicolas et de sa copine Marie Bolino, présentée comme la sœur de Sue Ellen et Kim Jong Il. Là vous vous dites que cette chronique n’a ni queue ni tête et que le chroniqueur est légèrement court-circuité des implants bioniques, mais on vous jure que tout cela est vrai. Marie engage les hostilités derrière sa batterie en fusion, débutant doucement avant d’accélérer subitement le rythme en accompagnant le tour de sa voix grave rappelant parfois Nico (Velvet Underground). Leur garage rock déréglé et bancal s’exprime sur des morceaux courts à l’énergie punk et à l’essence lo-fi. Les deux voix parviennent à se rejoindre sur certains titres, se mélangeant parfaitement sur des assauts cadencés et géométriques. La batteuse n’hésitera pas à se servir d’un sifflet pour ajouter la déraison à la folie. La guitare est parfois débraillée, comme tapant volontairement à coté de sa cible mais parvient à nous violenter délicieusement d’échauffourées bordéliques et déstructurées à la Black Lips. On se souviendra même d’une reprise de A Forest de The Cure, difficilement reconnaissable, rappelant plutôt une forêt de poteaux électriques à haute tension. Au Mudd Club ce mardi, pas sûr qu’un Bolino aurait eu besoin d’un micro-onde pour être prêt.

Pour la suite, on se cale correctement à coté du poteau en béton suintant de rosée, source de fraicheur au beau milieu du sous-sol du Mudd Club, pour avoir un bon point de vue sur Protomartyr. L’ambiance est chaude et électrique lorsque le quatuor américain entame ses courtes tirades incisives, menées par Joe Casey et sa voix parlée dissonante de punk-rocker en costume trois pièces. Ce n’est qu’au bout de quelques tires qu’il tombera finalement la veste, tout en la gardant quelque temps en main, peut-être pour ne pas trop la froisser. On peut donc faire du post-punk, aimer s’habiller chic et serrer fort sa bouteille de bière Météor contre soi, impassible et sans forcément tout recracher sur le public. La classe américaine. Protomartyr parvient à nous faire remuer avec ces lignes de basses glissantes supplantées d’une certaine mélancolie vocale rappelant The Fall comme sur Why Does It Shake ? et ses répétitions martelées à l’infini. On a d’ailleurs du mal à ne pas penser avoir un groupe britannique en face de nous. On parvient néanmoins à se calmer sur Pontiac 87 et sa guitare semblant inoffensive et soyeuse, pour mieux s’enrager sur un refrain scandé et hurlé dans un micro sans onde mais placé trop haut. La musique de Protomartyr possède un certain intellect et conserve cette retenue, chaque mot semble pesé et pensé pour se connecter justement aux instruments. Le penseur immobile derrière son micro impressionne car parvenant à exprimer énormément de sentiments et d’énergie sans forcément le montrer physiquement, un peu comme Mark Kozelek (Red House Painters). Protomartyr a en tout cas confirmé sur scène tout le bien que l’on pense de son album The Agent Intellect sorti cet année, entre lente noirceur et ivresse exaltée.

La nuit fut chaude et sauvage au Mudd avec les Shake Shake Bolino, turbulents et en dehors de tout sentier balisé, puis Protomartyr, qui ont su renouveler un son post-punk plus classique pour l’élever dans des embrasements frappants d’évidence.