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Live-Report
Bohren und der Club of Gore - Point Ephémère

09 avril 2014
Rédigé par Florian Sallaberry

Bohren und der Club of Gore
Le Point Ephémère - Le 3 avril 2014

 

Ce soir, il fait chaud. Quelques jeunes prennent l'apéro au bord du canal Saint-Martin sans se douter qu'une performance ultra-rare a lieu à quelques mètres de là : le groupe allemand culte Bohren und der Club of Gore joue au Point Ephémère. Il est accompagné de deux représentants lyonnais de la scène post-rock-noise : Witxes et Insiden.  

Derrière Witxes, se cache Maxime Vavasseur, ancien guitariste d'un groupe de post-métal. L'homme joue dans le noir, l'ambiance est sombre, posée par un bruit de fond qui sera le fil rouge du concert. Petit à petit, les sons se mélangent et une atmosphère très bruitiste s'impose, renforcée par des infrabasses puissantes et des gros riffs à poigne. On pense au Metal Machine Music de Lou Reed lorsqu'il s'acharne sur sa guitare en distorsion, adoptant une position scénique rappelant son passé métalleux. À ces moments intenses succèdent des passages plus ambiants, formés de nappes d'un son à la tonalité élevée et au volume plus doux appuyé par des notes de piano éparses sur un fond sonore naturel. C'est toute l'étrangeté de ce concert entre capharnaüm et volupté. La performance s'achève sur une énorme montée en puissance noisy accompagnée d'un beat minimal sur lequel de nombreux effets sonores sont greffés. Le set s'achève dans le chaos le plus total auquel succède un silence inattendu et brutal, nous laissant assommés et sous le choc.

Le deuxième groupe, Insiden, propose de nous raconter une histoire. Lors des premières minutes, il nous semble capter un signal qui s'approche petit à petit, comme les prémices d'une tempête ou d'une invasion extraterrestre ; sensation renforcée par le visuel en arrière-plan, sorte de boule blanche qui se dessine progressivement, floutée par quelques interférences. Lorsque la menace approche, on comprend qu'il faut se cacher vite, l'ambiance devient électrique, la terre tremble, tout explose. Le groupe, lui, reste stoïque, conscient de sa toute-puissance dans ces instants de déluge sonore. S'il y a quelques instruments présents, un clavier et un violoncelle en ce début de concert, aucun n'est utilisé de manière traditionnelle, leur son étant distordu pour créer l'ambiance pesante qui règne. Puis, un moment de calme où l'espoir semble renaître, des couleurs apparaissent en arrière-plan et on comprend le drame avec les doux accords lointains du violoncelle que l'on perçoit à peine. Tout à coup, des énormes sons comparables à des alarmes résonnent et nous assourdissent. Finalement, c'est la tonalité répétitive et infinie d'une sorte d'accordéon sur table qui nous accompagne jusqu'à la fin de ce moment déroutant.

Le son de Bohren und der Club of Gore tranche assez nettement avec les deux précédents. Malgré son nom brutal, ce que va nous proposer le groupe n'est ni gore ni violent. Cette formation, active depuis plus de vingt ans, vient nous présenter son dernier album : Piano Nights, un jazz ambiant empreint de musique contemporaine. Lors de l'entrée sur scène, une affiche lumineuse indique leur nom. La formation est jazz : un pianiste, un contrebassiste (dont l'instrument n'est qu'un manche) et un xylophoniste-saxophoniste. L'atmosphère posée est celle d'un film noir : on a l'impression d'être dans une ruelle sombre du Los Angeles de l'après-guerre, non loin d'un club de jazz, et de distinguer la silhouette de Philip Marlowe dans la fumée urbaine, en particulier quand le saxophone résonne. Ce jazz dépouillé est appuyé par un éclairage modeste mais parfait des membres du groupe, une simple lanterne au-dessus de chaque visage, l'effet sur le contrebassiste est particulièrement réussi. Lors des morceaux piano-contrebasse, on décèle une musique de fond rappelant l'atmosphère des films de David Lynch : le groupe nous transporte dans les multiples virages de Mulholland Drive. A un moment, le pianiste se lèvera, dissipera la fumée très (trop ?) présente autour de lui et jouera quelques accords dépouillés sur sa guitare, et l'on quittera le Silencio pour un western calme : le cul sur un banc, les deux santiags sur une barrière à observer le temps qui passe. Lors de ce morceau, il prendra des poses lascives dos contre son saxophoniste, non sans autodérision. On regrettera le bruit provoqué par le bar voisin troublant cette musique extrêmement intimiste, tellement intimiste que l'on entendait les membres du groupe ouvrir leurs canettes de bière. La formation est classe, ne fait même pas semblant de partir avant le rappel, et nous offre un dernier morceau jazz qui nous fait définitivement tomber sous le charme de ces trois ex-métalleux devenus maîtres d'une musique douce et apaisante.

Ce soir, il faisait chaud. Les jeunes sont toujours en train de boire sur les quais, nous, nous sommes conquis : ce fut trois concerts à l'ambiance différente, ayant tous en commun de provoquer l'imaginaire et de faire vivre une expérience personnelle et inédite à chaque spectateur.

Photos Alan Kerloc'h