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Live-Report
David Lemaitre + Thomas Joseph à La Laiterie

08 février 2014
Rédigé par François Freundlich

David Lemaitre + Thomas Joseph
La Laiterie, 4 février 2014



David Lemaitre est certainement le Bolivien au patronyme le plus français qui soit, même s’il n’en parle pas un mot. De La Paz, c’est pourtant vers l’Allemagne qu’il a choisi de s’exiler pour exercer ses talents de songwriter dont il va nous prouver l’étendue dans un concert d’une variété folle, jamais là où on l’attend. Mais avant cela, Thomas Joseph investit seul la scène pour proposer au public de La Laiterie ses compositions emplies de tendresse.

Thomas Joseph a l’air quelque peu fébrile lorsqu’il s’installe face à son clavier, entouré par l’installation déjà prête de David Lemaitre qui occupe une grande partie de la petite scène. Mais dès que les premiers souffles de sa voix résonnent, notre souffle se coupe aussitôt pour mieux la ressentir. Elle exprime une intensité cristalline lorsqu’elle s’évade dans des aigus nous laissant frissonnants. Le Lorrain semble venir de très loin, nous rappelant l’intemporalité d’un Justin Vernon (Bon Iver) ou la mélancolie d’un Sébastien Schuller dans les légères réverbérations électroniques qui saisissent son instrument. Avec ces compositions accompagnées d’un orgue quasi spirituel, on pense également à Alden Penner et son groupe Clues. De son attitude crispée et ses grimaces tordues, l’étoile montante du label Herzfeld semble extraire le tréfonds de son âme à chaque syllabe de ses textes très personnels et à chaque boucle enregistrée avec lesquelles il s'amuse. Les fins de morceaux se concluent par un moment de silence laissant l’auditeur dans une transition entre cette musique enveloppante comme un iceberg brisé et ce retour sur terre où on l’applaudit chaudement lorsque Thomas nous regarde d’un air « c’est fini, là » en traînassant sur deux notes de clavier. Non pas qu’on ne veuille pas l’applaudir, mais sa musique est à ce point organique qu’il s’agit avant tout d’en ressortir indemne. Thomas Joseph, lui, ressort de scène comme s’il ne s’était rien passé, mais pendant cette demi-heure, on a pourtant tutoyé la beauté.

Nous allons finalement savoir à quoi sert cet attirail de néons géométriques, percussions diverses et autres synthétiseurs à bouteilles occupant tout l’espace de la scène. David Lemaitre entre en scène, détendu et large sourire aux lèvres pour faire vibrer l’audience de son folk percutant et irradiant. Il est accompagné d’un violoniste-claviériste ainsi que d’un percussionniste, répondant au nom de Ioda, qui doit posséder tous les instruments rythmiques existants. L’introduction toute en douceur sur Easy lance le concert avec un violon ombrageux accompagné de quelques touches de xylophone. La voix juvénile du Bolivien s’élève dans une profondeur et une clarté très particulières. Les chansons s’évadent hors de leur carcan, dans des instrumentaux teintés de rythmiques résonnantes, de violoncelle captivant ou de ce synthétiseur relié à des bouteilles en verre qui s’allument et changent de sonorité lorsqu’on les effleure. Le début du concert repose davantage sur des ballades acoustiques comme Spirals, avec une voix tout en intensité rappelant parfois Jeff Buckley ou Neil Young. Mais la surprise est constamment au rendez-vous puisque la musique de David Lemaitre est bien plus cinématographique et complexe. Son titre Jacques Cousteau en est la preuve, dédicacé à l’explorateur qui était venu sonder les profondeurs du lac Titicaca avec son sous-marin lorsque David n’était qu’un enfant à La Paz. Il y enregistre des boucles de guitares électriques pour un titre subaquatique et synthétique. La délicatesse est de mise avec Six Years, ballade plus personnelle où les déliés du violon se font délicieux et exaltants avec des airs de Sufjan Stevens. Il n’hésite pas à plaisanter entre les morceaux, moquant le groupe de reprises de The Doors jouant dans la grande salle le même soir : il est vrai que les concerts auraient pu été inversés si la fraîcheur et la nouveauté avaient été les maîtres mots. Les néons triangulaires de l’arrière-scène se font subitement stroboscopiques sur Lottery, morceau complètement électronique nous surprenant par son tempo accéléré, prouvant que David Lemaitre peut s’évader sur tous les terrains, même les plus dansants. C’est avec le single Megalomania que le concert prendra une tournure plus pop, faisant penser à un single de Phoenix. Il proposera finalement une reprise enlevée de Dorian de Agnes Obel dont il a fait la première partie sur sa tournée. Surpris par l’accueil chaleureux du public, David Lemaitre nous gratifie de deux rappels dont le titre Airplane racontant un rêve de crash d’avion incluant Megan Fox. Les zygomatiques sont aussi détendus que les pores.

De David Lemaitre, nous retiendrons avant tout la richesse de sa musique en constante évolution, accumulant les couches de cordes ou de percussions et les recouvrir de sa voix si particulière. Ses compositions prennent une réelle consistance dans des versions live imaginatives plus écorchées qu'en studio. N’oublions pas Thomas Joseph qui a livré une première partie de haute volée. 


Photos de Patrice Hercay