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Chronique de disque
Future Islands – Singles

14 avril 2014
Rédigé par Emilie Quentin




Future Islands – Singles

Sortie le 24 mars

Note : 4/5




 

Amitié née en 2003 sur les bancs d’une école d’art, les prémices de Future Islands ne datent pas d’hier. Ensemble, Samuel Herring, William Cashion et Gerrit Welmers ont expérimenté divers groupes et formations avant de stabiliser l’équilibre du trio qu’ils forment depuis 2007. À l’image de leur plan de scène, cette configuration en triangle (à tendance isocèle) définit avec justesse les relations entre les membres du groupe et retranscrit la balance de cette triade, de base basse/synthé, portée au sommet par la voix singulière de Samuel. À leur actif, quatre albums avec Singles, plusieurs formats courts et collaborations dont un split avec Dan Deacon et plus de 800 dates. Discrètement prolifiques, authentiques et endurants, ils ont su se différencier radicalement du tout-à-l’égout de la pop américaine. Leurs prises de position, parfois risquées, auraient pu faire d’eux une bande d’irréductibles de la scène indé. ou même les enterrer vivants. Il n’en est rien. Rejoignant le label 4AD et enflammant le plateau de la CBS chez David Letterman, 2014 signera finalement le succès qu’ils n’attendaient pas.

Pour mieux comprendre les épreuves qu’ils se sont imposées, il faut se rendre à Baltimore, port maritime de la côte Est des US. Drogue, violence et crise des subprimes ont eu raison de la ville de Billie Holiday tant et si bien qu’elle compte aujourd’hui moins d’habitants que Marseille. C’est pourtant entre l’agonie des blocs vides et les beats mutants du « Bmore club », mélange de hip-hop et de house emblématique de la scène locale dans les 90’s, que le groupe a élu domicile. Un choix que vous qualifierez certainement de hasardeux si vous avez suivi la série docu-fiction The Wire. Le trio explique avoir adopté Baltimore pour sa scène à taille humaine, mouvante et en (re)construction. Ils concèdent que certains aspects du lieu sont terrifiants, mais ils ont la conviction que cet environnement est également source de cohésion et d’énergie. Quoi qu’ils en disent, lorsqu’on est blanc et qu’on fait de la pop, si teintée de post-punk soit-elle, il vaut mieux imposer le respect et ne pas trop la ramener. Tee-shirts basiques, voire informes et pantalons de daron à la scène ; dégaine d’ado, sweats et casquettes à la ville, leur look s’en ressent. Ces tenues de camouflage les feraient d’ailleurs aisément passer pour des employés de chez Carglass ou des chauffeurs-livreurs si vous les croisiez hors contexte. Quand on connaît leur rayonnement international, on est d’abord surpris (le formatage de l’industrie et la connerie ont la dent dure). Deux minutes d’écoute suffiront à étouffer notre roguerie. Si simple qu’elle puisse paraître, la formule est pourtant loin d’être évidente. Synthé guilleret joliment pop, voix rocailleuse et lignes de basse d’inspiration hookienne s’entremêlent pour mieux brouiller les pistes. Décontenancé par cette synthèse fonctionnelle d’éléments a priori difficilement combinables, c’est dans une ambiance tendue à la rythmique dansante qu’on lâchera finalement prise. Le charme opère mais une question nous reste : doit-on parler de synth-pop sur la brèche, de new-wave sentimentale ou de post-punk accessible ? À la croisée de ces chemins, Future Islands tranchera pour le néologisme « post-wave ».

Écho lointain à cette formule initiale, Singles confirme la piste narrative pressentie sur le précédent volet : On the Water. Moins nerveux, le tempo se calme pour offrir un chapelet de ballades romantiques et torturées. Loin de la démonstration des débuts, le groupe a gagné en maturité et prend sereinement un tournant vers des couleurs plus personnelles. De toute évidence, cet album quasi monochrome n’est pas vraiment celui auquel on s’attendait. Qu’importe, puisqu’on se laisse finalement prendre par la main, entraîné dans les méandres d’une poésie à l’énergie diluée dans la nostalgie. À ce titre, et même s’ils restent des accompagnateurs dynamiques dans les accroches, le couple machines/basse consent bien souvent à adopter une position décorative. Violon, violoncelle, trompette, guitare et chœurs, donnent de l’ampleur aux arrangements qui s’orientent discrètement vers une orchestration classique. Seule constante, la voix baryton est toujours aussi expressive. Elle guide l’ensemble sur des chemins tortueux et va jusqu’au bout du souffle d’un phrasé-chanté qu’on lui connaît. À travers le découpage de Fall For Grace, c’est grâce à elle qu’on atteint avec brio le sommet de cette ambiance mélancolique et déchirante. Lorsque les soupirs se muent en rage, Samuel, chanteur punk hardcore à mi-temps, explose hurlant son désespoir sur fond de basse distordue. Une très belle surprise qu’on aura tout intérêt à redécouvrir en face à face, ne serait-ce que pour apprécier la folle mise en scène posturale du charismatique sing leader. A contrario, la prose lyrique connaît parfois des limites. Ainsi, on regrettera que les paroles de certains titres (Sun In The Morning et A Song for Our Grandfathers), leçons de vie un peu mièvres, jouent avec le feu en frôlant les frontières du pathos. Déconvenue bien vite oubliée à la faveur des véritables singles de l’album. Spirit d’abord, vestige d’une époque où les fosses des concerts de Future Islands n’étaient que des pistes de dance endiablées. Ce titre orphelin voit sa basse se perdre dans les fréquences d’un synthé en mode arpeggiator (qu’on jurerait emprunté à Au Revoir Simone). Semblable à Disco//Very sur le dernier Warpaint, ce véritable OVNI procure un plaisir sans retenue. Enfin Seasons (Waiting On You), titre d’ouverture, a une telle ampleur qu’on peine à croire qu’il s’agisse d’un trio. On accroche dans un premier temps sans vraiment savoir pourquoi. La construction de la basse de William semble au cœur de la question. Montante et descendante, elle vient se stabiliser sur des envolées en distorsion : un calque ralenti du Disorder de Joy Division juste dissimulé par des drones mélodieux. Ce bel hommage ne fait que renforcer notre attachement.

Sans concession, Singles signe la fin d’un cycle. Un pari audacieux pour ce groupe connu pour enflammer les foules lors de lives épiques. La fougue nous quitte et on entre dans une phase d’introspection où se mêlent chagrins et consolations. Semblable à une rupture qu’on se résignerait à accepter avec philosophie, il explore tous les recoins émotionnels de l’amour déçu sans jamais embrasser la rancœur. Un album cathartique qui obligera Future Islands à envisager l’avenir sous un jour nouveau. On a hâte de savoir ce que le futur nous réserve, espérons qu’il n’ait pas fini de nous surprendre.