Webzine indépendant et tendancieux

Live-Report
Arcade Fire / The Reflektors au Pavillon Baltard

24 novembre 2013
Rédigé par François Freundlich

Arcade Fire / The Reflektors
Pavillon Baltard, 22 novembre 2013


The Suburbs

L’expérience commençait par l’entrée dans un RER vers Nogent-sur-Marne, la banlieue résidentielle si chère aux Canadiens d’Arcade Fire. Il fallait bien qu’on s’y retrouve avec eux, après avoir tellement écouté leurs histoires de voisinage et d’étalement urbain. Nous arrivons au Pavillon Baltard, jolie halle au beau milieu d’un quartier cossu dont les habitants avaient été prévenus par la municipalité de Nogent qu’une horde de « trentenaires bien éduqués » allaient débarquer au beau milieu de leurs propriétés. En gros, ils ne viennent pas du 93, ils sont plutôt pâlots, donc ça va bien se passer, mais restez chez vous quand même et cachez l’argenterie. Une longue et joyeuse file d’attente s’est formée avec une bonne proportion de personnes qui avaient répondu à l’appel du groupe de venir déguisé. On n’a de notre côté pas résisté au costume de chat jaune. L’entrée dans la salle est accompagnée par un groupe de mariachis qui nous met immédiatement dans le ton festif de la soirée. Les déguisements sont parés, tout le monde est prêt à en découdre et attend que le rideau noir sur lequel est projeté « The Reflektors », leur nom de scène pour cette pré-tournée, tombe. Mais c’est à un autre endroit que le groupe apparaît.

Neon Bible
Win Butler et Régine Chassagne se trouvent en haut du balcon sous les néons de la halle au beau milieu du public pour interpréter un extrait de leur deuxième album : My Body is a Cage. Comment nous tirer les larmes des yeux en cinq secondes et en cinq mots. L’introduction de ce morceau est chantée a cappella, uniquement accompagnée de quelques percussions. La voix est ardente et emplie d’une intensité débordante : le genre de moments inattendus qu’on ne peut vivre qu’avec Arcade Fire. La claque émotionnelle à peine encaissée, place à la fête puisque le duo s’en retourne vers la scène où le rideau tombe finalement, laissant apparaître toute la petite troupe. Le jeu de scène est imposant et donne une impression de puissance avec le géant Win au centre, Régine courant partout, Richard Parry tenant la baraque, Will déguisé en barbu blanc, Tim Kingsbury et Jeremy Gara dans une rythmique assez mise en avant, Sarah Neufeld et Owen Pallett sublimant leurs violons, sans oublier les Haïtiens Diol et Tiwill aux percussions. Ce mélange procure un effet de foisonnement magique joué par l’orchestre parfait. It’s Never Over (Oh Orpheus) est donc marqué par la surprise de cette découverte qui nous prend tellement de court que nous essayons de nous accrocher tant bien que mal à ce titre du dernier album. Un morceau plus classique va nous ancrer solidement au groupe : Neighborhood#3 (Power Out) explose tout comme le public, sautant de tous ses attributs de lumière. Le groupe n’est également pas en reste au niveau des costumes classieux. L’ambiance est à l’euphorie générale quand les premiers « ouuuh ouuuh » et autres déclamations de type « We found the light ! » se font entendre sur ce titre toujours aussi efficace avec ce riff de guitare imposant et cette rythmique ultra-dansante relevée par toujours plus de percussions. Arcade Fire prend son envol avec des adaptations live bien plus festives de leurs anciens morceaux ainsi que des basses lourdes et autres chœurs brillants : ils ne retomberont jamais. Win s’approche des premiers rangs pour conclure ce premier moment de fougue. La bizarre Flashbulb Eyes est l’îlot égaré du concert avec ses résonances caribéennes / dub au milieu d’un océan rock’n’roll. Deux spectateurs déguisés en yeux géants en papier mâché s’avancent vers les premiers rangs. Les synthés vagabondent dans des tessitures psychédéliques alors que Régine se saisit de baguettes pour enfoncer le clou avec sa mini batterie.

Reflektor
Plusieurs titres de leur nouvel album vont alors s’enchaîner, sous les lumières réfléchies de plusieurs boules à facettes géantes qui tournent au plafond du pavillon. Joan of Arc est le premier d’entre eux avec son intro électrisante qui ralentit finalement pour nous faire danser plus calmement. Les « Joan of Arc ! Jeanne d’Arc oww » se font entendre comme d’une voix dans le public, imposant la pièce historique comme un tube immédiat. L’intégralité du groupe chante en chœur comme ils savent si bien le faire. Même le passage interprété par Régine (ainsi que toute la salle) nous réconcilie avec le morceau puisqu’au milieu de tant de bonheur bisounours, il est difficile de se plaindre. You Already Know revêt des allures plus pop avec son refrain aisément chantable alors qu’un éléphant gonflable fait du crowdsurfing. Les violons ont parfois du mal à se faire entendre (même si le son pourrait être meilleur) avec cette section rythmique mise en avant et il est parfois dommage de laisser des violonistes virtuoses tels que Sarah Neufeld et Owen Pallett jouer des maracas. Win prend la parole pour expliquer qu’il parle français « comme de la merde », mais le Montréalais souligne avec fierté que son enfant de 7 mois parlera notre langue. Il entame We Exist et ses synthés au goût de new wave 80’s prononcée et ses « nanana » qui font s’agiter les mains. Les « ouhouh » de Afterlife lui succèdent, nous succombons à leur génial entrain, donnant envie de danser comme dans ce fameux clip live diffusé sur le net. Le refrain fait de ce titre une vraie chanson de stade avec une fureur collective sur les « I’ve got to know », il nous restera en tête bien après la fin du show. Arrive le « Régine Time » avec le délicieux duo Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) et Haïti. La jolie multi-instrumentiste prend place au centre pour élever sa voix aiguë et irrésistible, tout en se déhanchant des quelques pas de danse gracieux dont elle a le secret. Sa fameuse danse des rubans nous fait toujours autant chavirer, tout comme sa voix particulièrement remarquable ce soir, alors que Baltard prend des allures de club aux lumières chatoyantes. Win Butler se livre à un petit speech comme à son habitude avant le titre Haïti, faisant mine que le groupe The Reflektors jouait son premier concert en France et déclamant aimer la France, la tour Eiffel, ainsi que le racisme ambiant. Il rappelle la responsabilité de la France sur la situation d’Haïti avant que Régine n’entame sa danse des mains levées et que Sarah Neufeld ne s’excite sur son violon. Les « ouh ouh » s’évadent encore même si la chanson terminera un peu à plat, sans que Régine ne les reprenne dans ses habituels cris transperçants. Win fait répéter une phrase en créole au public avant que le groupe n’enchaîne sur Normal Person et son riff ravageur. Ce passage plus électrique / punk est prolongé par une reprise des Clash – I’m So Bored With The U.S.A. Win, Régine et Will enfilent leurs masques de têtes géantes et deviennent encore un autre groupe : un petit problème d’identité peut-être ? Arcade Fire aimerait-il redevenir un petit groupe pour ne pas déclencher des polémiques infondées sur chacun de ses faits et gestes ? Cette reprise au son crade de la fin des 70’s est interprétée tout en énergie. La première partie du set se termine sur les percussions ultrarapides de Here Comes The Night Time, donnant envie de sauter encore plus haut. La vision de cette tête masquée de Win Butler et de ces confettis projetés en l’air par des canons au moment où les percussions reprennent sur la fin du morceau nous restera longtemps dans la tête : le concert-carnaval prend ici tout son sens. Arcade Fire revient finalement pour un rappel bien mérité vu les forces laissées par le public. Le fameux single Reflektor fait repartir l’ambiance disco de plus belle, il n’a jamais été aussi opportun de crier « David Bowie ! » dans l’assemblée. Les quelques textes en français ainsi que les « I found » sont tout aussi déclamés alors que Régine joue du air piano sur les mains du premier rang. On sacrifie ses métatarses dans la danse avant le bouquet final.

Funeral
Pour enterrer ce concert (qui ne sera jamais vraiment enterré), les guitares d’introduction de Wake Up résonnent dans le pavillon : « une chanson pour vous », comme dit Régine. La communion atteint son apogée avec ces fameux chœurs souvent copiés mais jamais égalés repris par l’ensemble du public. Ils seront d’ailleurs entonnés bien après le concert sur le quai du RER qui ramenait des trentenaires pas si bien éduqués vers Paris, ainsi que dans le train pour un voyage magique, before they turn the summer into dust. Ce concert va mettre longtemps à s’arrêter dans la tête de ceux qui y étaient. Il s’achèvera par un DJ set de Win Butler qui viendra même faire quelques pas de danse à côté de nous juste avant la fermeture de la salle. Arcade Fire est au sommet et son public également. Malgré tous les bla-bla entendus, cette idée de concert déguisé était excellente et nous a fait vivre un moment particulier en ayant réuni le public dans une euphorie difficilement descriptible. Les prochains concerts dans de grandes salles ne rivaliseront peut-être pas avec ce Baltard mais nous y reviendrons forcément. See you on the other side !