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Live-Report
Maybeshewill + Waking Aida au Kiff d'Aarau

31 mars 2016
Rédigé par Patrice Hercay

Une fois n’est pas coutume, c’est en Suisse que My Cat Is Yellow s’expatrie. Une excentricité en amenant une autre, c’est le photographe qui se plie au délicat exercice de mettre des mots sur ses images. Exercice périlleux quand on s’attarde sur les attitudes et les lumières, au détriment de ce qu’on entend.
« Où, ­qui, ­quoi,­ quand,­ comment et sans oublier de développer » me glisse-t-on dans l’oreillette. Soit.

L'événement était d’importance : Maybeshewill officie sa tournée d’adieu, voilà une dernière occasion de les voir avant leur ultime concert au Koko à Londres le 15 avril, qui affiche complet.
Dix ans déjà depuis la sortie de leur premier EP, Japanese Film Transcript. Quatre albums du groupe originaire de Leicester et un CD/DVD live suivront, grâce auxquels ils se sont fait une place certaine sur la scène du post-­rock, au même titre que 65daysofstatic. Si les premières productions étaient un subtil mélange entre post­-métal, ambient et électro, leurs dernières productions ont vu un glissement continu vers une dream-pop beaucoup moins expérimentale, plus atmosphérique, faisant la part belle aux nappes de piano et de cordes, avec comme couronnement un set au festival ArcTanGent cet été, accompagné des cuivres et violons de Her Name Is Calla (et de votre serviteur attentif au premier rang). L’annonce de leur séparation avait déjà fuité et n’avait été́ qu’une demi-surprise. Le papillon avait visiblement achevé sa mue, le dernier album pouvant presque apparaître comme celui, non pas de trop (ce serait excessif), mais comme un point final. L'achèvement tout simple d’une conversation quand on n'a plus rien à ajouter. Introduction, développement, conclusion, fin du voyage.

C’est dans la salle bien remplie du Kiff à Aarau, entre Bale et Zurich, que j'espérais secrètement un set varié, faisant la part belle aux premiers morceaux, adieux obligent.
La bonne surprise fut les Londoniens de Waking Aida, qui assurent les premières parties sur cette tournée. Un post­-rock mâtiné de math-rock extrêmement lumineux, soyeux, aérien et ciselé, beaucoup plus que ce que le dernier album ne le laisse entrevoir, le tout porté par un guitariste démonstratif­ ­aux pas de danse étonnants. Loin de la noirceur des canons du genre. Certains morceaux apparaissent même plutôt groovy, suggérant parfois ce que pourrait être une version instrumentale de Foals. Sans être révolutionnaire, Waking Aida est néanmoins à suivre.

21H45, le rideau s’ouvre sur Maybeshewill. Le set débute classiquement sur les nappes de claviers d’Opening, puis les envolées rageuses de Take This To Head. Le bassiste, Jamie Ward, toujours bien campé au centre de la scène, nous emporte dans ses déhanchés. Les mouvements de basse accompagnent la rythmique implacable et Co-Conspirators nous replonge dans les premiers albums. Mais (car il y a toujours un mais), s'enchaînent les morceaux plus récents. Beaucoup plus homogènes, moins dans la rupture, souvent dans le même schéma (toujours basé sur les nappes de piano qui structurent les morceaux). On gagne en atmosphère ce qu’on perd en énergie. Ils s’adressent ici clairement davantage à l'âme qu’aux tripes. On ferme les yeux. Au fil de son voyage, Maybeshewill a épuré son style, a trouvé la formule, celle des beaux morceaux, clairement. Mais la beauté parfaite a un revers : elle est souvent lisse. Pure. Sans surprise du fait. Et dans la séduction, c’est souvent aux défauts qu’on s’attache, qu’on s’agrippe. Aux aspérités. On veut être chahuté, surpris.

La surprise est, entre deux photos, de se dire, ils ne l’ont pas déjà jouée celle-là ? Ah non : autre morceau mais même formule, trop formatée. Et au final d’attendre avec un soupçon d’impatience le rappel, celui où ils joueront Not This Want of Trying, pièce maîtresse de leurs origines post­-métal. Morceau imparable, implacable, où comme le préconisait Mao, la destruction précède la construction. Une entame brute, violente, basique. On encaisse les coups de ce riff rageur, déstructuré. Groggy. Puis entre la petite ritournelle entêtante au piano. Le morceau se construit peu à peu sur les ruines qu’il a laissées en nous, il s’affine, la mélodie émerge, comme une vague qui monte, puissante.

Poils qui se hérissent, boule dans la gorge, et comme un nœud qui se dénoue soudain en nous, on se laisse guider par ce tsunami dans un final épique, d’une beauté́ brute, âpre et violente : le moment où l’on sait pourquoi on est là.
Le rappel se conclura par le splendide He Films The Cloud part 2, l’autre chef-d’œuvre du groupe. Le public ne reprendra que trop peu à mon goût l’hymne du morceau :

Now we're apart.
Though not through choice.
Do we stay mute?
Or raise our voice?
Dernières notes, derniers sons. Maybeshewill ne sera bientôt plus. Now we’re apart. Do they stay mute?