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Live-Report
OTB Fest - La Flèche d'Or

10 septembre 2014
Rédigé par Emilie Quentin

OTB Fest est la branche d’organisation de concerts d’Old Town Bicyclette, association fondée par Adrien, Lorrain exilé à Paris, fervent défenseur de la scène alternative et adepte du DIY. Son festival, qui soufflait cette année sa seconde bougie, revenait avec une force de frappe décuplée. A l’affiche : 3 soirées et 16 groupes pour plus de 10 heures de concerts. Réinvestissant la Flèche d’Or, cette seconde édition mixait savamment têtes d’affiche et groupes en développement avec pour ambition de renforcer les bases d’une programmation éclectique mais néanmoins « extrême ».

Premiers dans l’arène, les protégés d’OTB Records, HPRSTN (comprenez et prononcez Hyperstation) s’inscrivent dans la lignée des groupes friands d’ellipses de voyelles. Brouillant la lisibilité (par coquetterie ou pour optimiser le référencement), ce phénomène, illustré notamment par MGMT, SBTRKT ou LA//KVLKD, ramène inéluctablement à la scène électro-pop. Une appartenance que le groupe ne peut pas nier mais que HYPE 1, 2, 3 et 4 préfèreront présenter sous le nom de « pop-violence ». Voix punk et envolées noises à l’appui. Mouvante et centrale, la guitare de HYPE 1, qui se risquera à une descente dans la fosse, est alternativement calée sur les riffs du clavier ou en conversation avec la basse. Décuplés par HYPE 4 (la dernière recrue), jeune blonde sexy à la batterie électronique ; les beats électro sont renforcés sur un titre de clôture encore en construction. Une orientation club qu’ils auront camouflée mais qu’ils gagneraient à creuser pour enthousiasmer.

Jessica 93 prend la suite, remplaçant au pied levé Yussuf Jerusalem. Pseudo msn, look normcore et attitude shoegaze, les ficelles de l’underground tirées étrangleront sur leur passage les préceptes du marketing musical (les labels concernés ne me contrediront pas). Seul en scène, armé de boîtes à rythmes électro-tribales et d’un pêle-mêle de cordes électrifiées, Geoffroy réussira à nous convaincre que le punk n’est pas mort. Guitare, basse, il boucle l’une et enregistre l’autre, étoffe l’instrumentation avant de faire entendre sa voix. Une progression exponentielle, des couches sonores innombrables et un chant aux paroles égarées dans des reberbs larges et lointaines, l’ensemble installe une noirceur lancinante dans laquelle on s’engouffre sans résistance. Jessica 93 manipule les sons dans un live solo abouti et hypnotisant.

Projet parallèle à Catholic Spray et JC Satan, La Secte Du Futur enchaîne. Et de ce que j’ai pu entendre, beaucoup sont venus pour eux. Preuve s’il en est, la salle est à ce stade de la soirée quasiment pleine. Sur scène, un petit gabarit féminin accompagné par une brochette de garçons au style plutôt propret diffusent un son sale. Les basses de la batterie percussive me retournent l’estomac, le clavier est quasi inaudible et je n’ai jamais entendu servir autant de reverbs sur une voix (tapageuse)… Exigences lo-fi ou line check dans l’urgence ? A dominante noisy, le garage dépressif et violent de cette bande de « punx » s’accorde heureusement quelques pauses plus mélodieuses sous forme d’accalmies, en guitare/basse notamment. On peut alors reprendre son souffle, apprécier la maîtrise des instruments et les nuances surf.

Pour prendre le relai, on accueille un projet kaléidoscopique illustré dans un style rock plutôt nerveux aux contours post-punk/garage se risquant à caresser le folk ou à intégrer des beats afro. Couple à la ville, Peter Kernel est un duo où les instruments se parlent, se cherchent avant de fusionner. Elle au chant et à la guitare, lui à la basse, on en oublierait presque qu’une batterie les accompagne. Loin des roucoulements d’une sérénade, la scène prend des allures d’arène pour accueillir un spectacle tauromachique où Barbara tient les banderilles. Quand la séduction devient provocation, les regards se font plus perçants et l’espace devient le terrain d’un jeu où l’on teste les limites de l’autre. Basculé au second plan, le propos musical se contente parfois d’accompagner ce happening. On vacille entre le plaisir d’y assister et la culpabilité d’un voyeurisme non assumé. Quoi qu’il en soit, les échanges avec le public et leur présence transpirent la sincérité. Le groupe « art-punk » fait dans l’authentique et on ressort charmé.

Tant attendu, le duo Kap Bambino clôturera la soirée et le Festival OTB. Les premières notes de leur électro-dark-club suffiront à déchaîner une foule bien décidée à rentabiliser le faible prix de l’entrée en déversant des litres de sueur. Et pour les y inciter, Caroline Martial, petite boule (de nerf) blonde, ne lésinera pas sur les moyens : marche rapide, pas chassés revisités, course en levée de genoux, sauts-extensions… Le tout ponctué de quelques phrasés chantés ou criés perdus dans des reberbs. Contrairement à ce que l’agitation de ce cours de gym suédoise sous acide voudrait laisser penser, la force de ce binôme est ailleurs. Relayé dans l’ombre d’un coin de scène, Orion Bouvier, beatmaker visiblement friand d’outrun, d’electronica et de synthpop, jongle entre arpeggiators, beats racoleurs et drones maléfiques. Il aura maintenu mon attention jusqu’à ce que son acolyte féminin exprime, le plus gracieusement du monde, toute l’exaspération que lui inspire l’activité de mon collègue photographe. La fin du set se fera sans nous.

Positionnement clair, exigences de programmation, notoriété et qualité de la salle : OTB Fest aurait dû décoller cette année. Les aléas de dernière minute (annulations en chaîne, problèmes techniques et relocalisation de la soirée de samedi) ont donné des sueurs froides à l’organisation, modéré l’enthousiasme de quelques festivaliers et entamé le budget de ce jeune festival. Ils auront néanmoins apporté leur lot de bonnes surprises et prouvé des facultés d’adaptation remarquables de la part de l’équipe. Plutôt bon signe pour la suite. Il reste que la récente ouverture d’une collecte KKBB prouve leur besoin de soutien pour envisager un troisième volet.

Photos Alan Kerloc'h