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Live-Report
Avec Le Soleil Sortant de sa Bouche + Institut à la Laiterie

07 mars 2017
Rédigé par François Freundlich

Let the Sunshine In, disait Aquarius en 1969… Mais comme au Québec on aime bien ne pas faire comme tout le monde, on préfère faire sortir le soleil. En français. Et par la bouche. C’est par ce patronyme saugrenu que sont connus les quatre Montréalais également membres de quelques formations reconnues de la ville comme Pas Chic Chic, Set Fire to Flame ou Fly Pan Am. Avec le Soleil Sortant de Sa Bouche est signé sur le prestigieux label Constellation, où sévit notamment Godpeed You! Black Emperor, ce qui a évidemment attiré notre oreille aiguisée.

La première partie est tout autre puisque ce sont les Parisiens d’Institut qui ouvrent la soirée avec un concert qui challenge hautement le chroniqueur à raconter exactement ce qu’il se passe sur scène. On pourrait parler d’un groupe sous tranquillisant qui semble jouer la bande-son cynique et désabusée de la campagne présidentielle française de 2017. Introduisant leurs morceaux avec des extraits de discours de De Gaulle ou autres politiques, le chanteur Arnaud Dumatin récite des textes sur l’absurdité et la monotonie du monde moderne, des textes cinglants, caustiques et superbement écrits pouvant faire sourire ou pleurer à quelques syllabes d’intervalle. Les instrumentaux sont essentiellement synthétiques, le trio s’aidant parfois d’un smartphone ou d’un iPad pour leurs samples, tandis que les chœurs de Nina Savary apportent une profondeur à des morceaux semblant s’écouler au ralenti. On pense parfois à une absurde rencontre de Dominique A et de Air se retrouvant autour d’un copieux Xanax® dans une fête foraine abandonnée. Le concert s’achève sur une lecture d’une revue littéraire mensuelle, ajoutant le lunaire à l’absurde. L’électro-pop scintillante et crépusculaire ponctuée de guitare acoustique nous a surpris par sa capacité a réinventer la chanson française avec des codes actuels. Voilà un concert à finir avec un entonnoir sur la tête, en Institut.

Après ce concert très littéraire, le second groupe se trouve être l’exact inverse quant à ses textes, puisque Avec Le Soleil Sortant de Sa Bouche déballe un show essentiellement instrumental, avec néanmoins quelques touches vocales et autres chœurs à tue-tête. Les quatre Québécois nous préviennent que c’est le Nouvel An tibétain ce soir, l’année du poulet en feu. Le guitariste se prend ensuite une décharge électrique car son micro n’est pas « groundé » ou relié à la terre, le chanteur lui suggérant de le recouvrir d’une chaussette sale. C’est donc une constante, on se marre toujours bien avec les groupes québécois. Leur mélange de post, math et kraut-rock augmente sensiblement le volume, encore plus lorsque le chanteur adopte sa position de guitar-hero, dos au public, pour des riffs metalliques furieux. Les longs morceaux sont étirés et étrillés à leur maximum pour nous faire entrer en transe avec des rythmiques afro-pop imparables, un peu comme si Can réinventait la lambada. La voix semble lointaine et teintée d’un large écho rendant toute compréhension inutile. Les voix des quatre musiciens se rejoignent parfois dans des chœurs chamaniques à tue-tête et à l’unisson, ajoutant des esquisses de pop montréalaise comme on les aime sur ces libérations cosmiques de guitares. Les boucles n’en finissent jamais et les crescendos semblent escalader perpétuellement pour ne jamais redescendre, ou alors très brusquement à la fin des morceaux. Ajoutez à cela des projections psychédéliques à l’arrière de la scène, on se retrouve avec une bonne dose d’électricité et des membres obligés de remuer. Il ne manquait qu'un accessoire de bouche géante à l'arrière de la scène incluant un spot stroboscopique et l’expérience eût été parfaite.
 

Voilà une soirée bien fun, comme on dit sur les bords du Saint-Laurent. L’autodérision était peut-être le maître mot de la soirée avec ces deux groupes atypiques, expérimentaux et avant-gardistes. L’inspiration à l’état brut.