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Live-Report
La Route du Rock 2018 - Samedi

26 août 2018
Rédigé par François Freundlich

La seconde journée de La Route du Rock a cette année réussi le tour de force de réunir plusieurs générations grâce à une programmation très variée. Les anciens jeunes croisaient les nouveaux jeunes dans les allées, chacun restant un peu méfiant, voire moqueur, tare sociétale, mais tous réunis pour voir leur idole. Patti Smith pour les uns ou Nils Frahm pour les autres, chacun s’ouvrira un peu au monde de l’autre et c’est bien là l’essentiel.



En cette fin d’après-midi au Fort de St-Père, ce sont les Américains de Cut Worms, menés par le songwriter Max Clarke, qui ouvrent les hostilités. Voilà une manière idéale de commencer la soirée en écoutant une pop folk lumineuse, tout en sirotant sa boisson préférée au soleil. Les compositions rafraichissantes possèdent une certaine innocence attachante, donnant à la fois envie de s’émouvoir et de tenter de remuer un bras au son de la guitare psyché orné de quelques orgues virevoltants. Les titres convoquent les 60’s avec un côté country assumé qui nous parle forcément. On sent néanmoins le groupe un peu fatigué par l’enchaînement des dates et on se demande s'ils sont présents physiquement ou encore dans un rêve éveillé au vu de l’énergie déployée. Cut Worms aura su livrer un set aérien et gracieux, donnant envie d’en savoir plus en écoutant leur premier disque sorti l’an dernier.

 

C’est une tête connue de La Route du Rock qui s’avance sur la grande scène, même si on ne la reconnaît pas du tout. On se souvient de Josh T. Pearson, leader de Lift To Experience, en solo lorsqu’il a joué à la Chapelle du Conservatoire de Rennes ou encore tout en haut des remparts du fort en unplugged. Sans sa barbe christique, il est méconnaissable, avec sa coupe de redneck et son t-shirt « Urban Cowboy ». Très loin de la folk intimiste, c’est accompagné d’un groupe qu’il livre un set intense au possible entre divagations blues rock et ballades frissonnantes. Le songwriter déclame ses textes débordants avec un phrasé rapide, à la manière d’un Mark Kozelek, pendant qu’un rock’n’roll jouissif au tempo élevé l’accompagne. Entre les titres, Josh nous fait partager ses connaissances en français, se limitant à « C’est cool Raoul, À l’aise Blaise, Pas de panique Monique ». Les titres les plus pêchus sont interprétés en début de set et ont l’avantage de nous donner une énergie considérable. On pense parfois à Neutral Milk Hotel sur ces déchaînements libérés soutenus par un orgue vintage. On s’approche au plus près pour la seconde partie du set, où des titres plus intimistes sont interprétés. Nous voilà pris au cœur et à la gorge par des compositions d’une intensité folle. On frissonne littéralement sur le final enlevé de Woman, When I’ve Raised Hell, où la guitare s’envole vers un post-rock organique d’une puissance rare : l’un des grands moments du festival. Après quelques titres où la trompette texane est de sortie, Josh qualifiant même la Bretagne de Texas français, le groupe tire sa révérence devant un public conquis. Des débuts entraînants, une fin dantesque : on attendait pourtant peu de cette prestation, qui entre finalement parmi nos meilleurs concerts de l’année.

Un orchestre bien étrange prend place sur la scène des remparts, celui de Jonathan Bree et ses danseuses masquées. L’intégralité du groupe se cache derrière des tissus blancs leur donnant un côté extra-terrestre, ou pas loin puisqu’ils sont néo-zélandais. SI leur vaisseau est dans le champ d’à côté, il risque d’être envahi par les chèvres qui paissent. Dès les premières mesures du set, nous sommes immédiatement captivés par les mouvements de danse lents des deux énigmatiques demoiselles. Leurs pas sont d’une grande originalité et s’accordent magiquement avec la pop orchestrale de Jonathan Bree, enregistrée en partie sur bande. Elles s’amusent parfois à jouer de la air-batterie avec des baguettes ou du air-violon avec de vieilles raquettes de squash. La voix sombre et vaporeuse du crooner, immobile au centre de la scène transformée en théâtre absurde, se détache ou nous enveloppe complètement. Une langueur minutieuse s’installe tandis que les folkeux de cœur arborent un large sourire, ayant trouvé un troisième concert pour les faire rêver. Un jeu du je t’aime moi non plus s’installe entre le chanteur et sa danseuse / choriste lorsqu’ils tiennent chacun le micro de l’autre, partageant des parties vocales parfois peu audibles. Ce concert charmant a su nous séduire du début à la fin de par ses abords surprenants et attachants, malgré l’absence des visages, qui a permis de développer notre imagination.

La reine est attendue sur la grande scène par des fans prêts à vibrer. Patti Smith et son groupe débarquent déchaînés sous les hourras d’un public aux anges. Il sait que la prochaine heure sera une expérience unique en compagnie de la prêtresse du punk. Ses longs cheveux blancs éclairés par les spots sous un ciel qui s'est teinté de rose, Patti Smith harangue la foule du haut de ses 71 ans comme une jeune femme qu’elle est toujours. Comme habitée par ses textes, elle les narre les yeux fermés en agitant ses mains et en dansant avec classe derrière son micro. Symbole de la lutte pour les droits des femmes, on sent les jeunes femmes du public admiratives devant cette aînée qui montre toujours la voie et la voix. Cette dernière n’a pas bougé, parlant toujours directement au cœur, à la hauteur de son titre de diva du punk. Après des débuts où les excellents morceaux du Patti Smith Group, comme la torride Dancing Barefoot, sont proposés, la deuxième partie du set voit s’enchaîner les tubes qui ont fait sa renommée. Après une reprise enlevée de Beds Are Burning de Midnight Oil, un frisson nous parcourt de bas en haut sur les premières notes de piano de Because The Night. On s’en donne à cœur joie, le sourire aux lèvres, sur ce tube intemporel du rock. On vibre ensuite sur le piano-voix déchirant de Pissing in a River, où Patti Smith, micro en main, s’excite à l’avant de la scène, habitée et le poing en l’air. Elle enchaîne avec GLORIA, reprise de Them dont on connaît davantage sa version, qu'elle a sublimée au travers de ces six lettres reprises par l’ensemble du public. Une reprise du Can’t Help Falling In Love d’Elvis est dédiée à Aretha Franklin et Kofi Annan. Le final sur People Have The Power est prodigieux, Patti Smith délivrant son message de rébellion jusqu’au bout du concert en nous demandant d’y croire, d’utiliser notre force et de ne jamais abandonner. Bravo à la reine, on n’oubliera jamais ce moment en sa compagnie.



Après un tel concert, il est TRÈS difficile d’enchaîner sur quoi que ce soit d’autre. Une période de retour sur terre s'impose, on tente pourtant de suivre le concert d’Ariel Pink pour son retour au festival sur la scène des remparts. L’Américain fait le tampon entre un début de soirée rock et une fin de soirée électro, en mélangeant allègrement les deux styles. Toujours aussi déjanté, Ariel Pink hurle ou parle en laissant s’échapper ses divagations synthétiques nappées et dissonantes. Entre lo-fi bruitiste et psychédélisme foutoir, il nous prend à contre-pied à chaque instant, ne nous laissant aucun repos, quitte à nous perdre dans son labyrinthe sonore complètement déjanté. Niveau perdition c’est réussi, on ne sait plus quoi voir, quoi écouter ou quoi penser, même si on bouge parfois la tête machinalement sur les quelques jovialités popisantes cueillies de-ci de-là. On passe un touuuut petit peu à côté, mais on a comme une Patti qui nous reste implantée. Désolé Ariel, on lavera plus rose avec toi la prochaine fois.



On avait décelé les ados se précipiter à l’avant de la grande scène dés la fin du concert de Patti Smith d’où les plus âgés s’éloignaient : ils voulaient bien sûr être au premier rang pour voir le craquant Nils Frahm. On avait quitté l’Allemand à La Route du Rock 2011, où il jouait seul devant son piano dans la chapelle Saint-Sauveur de St-Malo intra-muros. Depuis, il est devenu l’un des grands noms de l’électro minimale et déploie une installation impressionnante faite de multiples machines dotées d’une infinité de boutons. Nils Frahm a tellement de boutons devant lui qu’il ne sait parfois plus lui-même lequel tourner, même si son béret est lui bien vissé. Ses expérimentations synthétiques donnent un sentiment de perfection à un set sans cesse sur le fil entre classicisme et électronique. D’une introduction baroque ressemblant à un clavecin, le Berlinois s’échappe dans des beats cotonneux et millimétrés, dans des sonorités tellement particulières qu’on se dit qu’il s’est réellement forgé son propre style. Le tempo ne s’élève jamais vraiment et reste très posé, nous permettant de vivre chaque délié et chaque changement et d’observer le déhanché chaloupé du producteur. Il passe de droite à gauche de son installation analogique gigantesque, maniant claviers, tournant boutons, soulevant potards. On adore pourtant lorsque les couches se superposent et que le tempo s’accélère subitement pendant un court instant seulement. Le pianiste virtuose n’oubliera pas de nous réserver quelques emportements sur son piano droit, provoquant l’émerveillement côté public. Un passage hors du temps.

La soirée continue avec les deux DJ Ellen Allien et Veronicka Vasicka. Nous resterons dans l’esprit de rébellion insufflé par Patti Smith lors de son concert, qui s’inscrit comme le sommet de ces 3 jours de festival. On n’oublie pas Josh T. Pearson et Jonathan Bree, qui sont parvenus à nous faire rêver lors d'une deuxième soirée exceptionnelle.