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Live-Report
October Tone Parties 2016

07 novembre 2016
Rédigé par François Freundlich

C’était certainement l’une des plus grosses fêtes de l’année que nous proposait pendant trois jours intenses de festival le label October Tone. Avec ses October Tones Parties, c’est près d’une trentaine de groupes internationaux d’une scène indépendante et mutante qui se sont succédé au Molodoï de Strasbourg. Trois soirées mémorables qui resteront longtemps dans les mémoires et dont voici un petit récit.

Un festival de 20h à 4h du matin sur trois jours est toujours intensif (sans compter le changement d’heure), mais October Tone avait tout prévu pour nous maintenir en alerte avec moult surprises et moult burgers. Ce sont des locaux qui ouvrent la grande scène en ce jeudi soir, deux groupes partageant une bonne partie de leurs membres : T/O, puis Amor Blitz et leur rock wave surfant en français. On se met tranquillement dans le bain avant le premier OVNI de la soirée : Bear Bones, Lay Low et son barda de machines aux résonances psychédéliquement lancinantes. Seul devant son attirail, le Vénézuélien installé en Belgique Ernesto González nous nourrit d’une amplitude sonore grinçante aux lentes et instables variations. L’étrange est dans la place, installés que nous sommes devant la petite scène surplombée par une marionnette de chauve-souris géante, qui se révélera plus tard être une piñata. Cet artisan de la musique Drone nous tient en haleine avec de longues plages sombres et cataclysmiques, un peu comme si un trou noir avait absorbé Knokke-Le-Zoute et Caracas pour les emmener vers une quatrième dimension hallucinatoire. Au bout d’une vingtaine de minutes, le premier titre s’achève et le second débute. Voilà un échauffement qui nous a sévèrement étiré les muscles.

On s’offre alors un demi-tour complet avec N/V, projet de la Moscovite Kate Shilonosova à la pop synthétique tellement entraînante qu’elle fera danser absolument tout le monde dans un Molodoï sous le charme. Sa joie de vivre et ses pas de danse kawaii sont communicatifs au point que nos lèvres se trouveront accrochées à nos oreilles pendant l’intégralité du show de Kate. Entre influences électro-pop, noisy, le tout bercé de pop japonaise, la surprise est permanente. Les constructions sont complexes et l’ensemble apparaît pourtant d’une simplicité lumineuse et détonante. Kate y ajoute parfois sa voix aiguë et quelques textes en russe qui se mêlent idéalement aux instrumentaux, comme si Chromatics se produisait dans un karaoké de Tokyo dans les années 80. On retiendra finalement Kate N/V comme l’un des meilleurs shows des trois jours, voire de l’année écoulée, avec cette fraîcheur et cette modernité explosive. S’en suivent la prestation électro minimale remuante du Belge Fyoelk et ses divagations aquatiques assez indescriptibles.

On se rabattra sur l’autre concert phare de ce premier soir avec les Mexicains de Lorelle Meets The Obsolete, excellente formation mélangeant un rock shoegaze à des synthés psychédéliques. Le groupe est porté par la voix langoureuse de la chanteuse Lorena Quintanilla, d’une classe ultime et rappelant Kim Gordon dans le chant et l’attitude. Leurs compositions psychédéliques font immédiatement mouche et la guitare cinglante d’Alberto González atteint des résonances spatiales avec cette réverb aux boucles infinies et entêtantes au possible. Le duo devient quintet sur scène pour apporter toute la profondeur à ces morceaux rêveurs et qui trouvent le milieu de la cible à chaque instant. Ils termineront sur un final cataclysmique où Lorena confiera sa guitare à un nouveau fan du public, à savoir moi-même. Essayant tant bien que mal de jouer, elle transforme ma bouillie en électricité pure en triturant ses pédales d’effet à outrance. Il fallait bien cela pour se rendre compte que je jouais la pire musique de l’histoire après PNL. Lorelle Meets the Obsolete ou la puissance furieuse qu’on attendait dans cette soirée. Celle-ci continue avec le duo de batteries Deux Boules Vanille, qui ont enflammé le Molodoï avec leur électro-math-rock méticuleux et diablement jouissif.

Après une première soirée réussie, nous entamons le second soir avec le duo Californien All Your Sisters et leur post-punk soutenu par une voix gravissime et des boucles de synthés divagantes. Le groupe commence cette soirée dans une certaine coolitude relâchée, comme sur l’excellente Come Feel, rappelant parfois The Cure. La tension est néanmoins palpable dans une prestation qui nous a fait remuer sans même y réfléchir. Un autre duo, Heimat, enchaîne sur la petite scène, composé de la chanteuse Armelle Oberlé (The Dreams) et d’Olivier Demeaux (Cheveu) au clavier. Les nappes d’orgues psychédéliques et dissonants s’enchaînent alors que le chant profond et appuyé en pseudo-allemand est hypnotique à souhait. Heimat impose une atmosphère surréaliste sur le Molodoï, entre orientalisme débridé et électro bruitiste au ralenti. Leur froideur imposante a pour effet contradictoire de réchauffer considérablement un public complètement imprégné par leur trip tribal bicéphale, un peu comme si l’Oktoberfest avait lieu en pleine procession de moines sur un sommet du Bhoutan. On est un peu restés bloqués ivres et tout en haut.

La suite était un peu moins réjouissante avec un set de la Canadienne Sally Dige qui n’a pas tenu toutes ses promesses. Seule dernière ses synthés, elle a souffert de la comparaison avec l’excellente prestation de N/V la veille. Ses synthés et beats semblaient un peu plat et essoufflés et ses mouvements un peu dérisoires, faisant passer la prestation pour un karaoké aux projections vidéo améliorées. On passe notre tour pour retrouver l’Amiénois le plus célèbre du monde : Usé. Complètement déchaîné derrière sa batterie et ses machines, Nicolas Belvalette repousse les limites du punk lo-fi en multipliant les boucles de synthé angoissantes jusqu’à la dissonance la plus féroce. Torse nu face à un public en transe qui lui griffe le torse, Usé rappelle un Iggy Pop de voie de garage qui serait vraiment devenu chien. Il touche au sauvage terrifiant, introduit par une sonnerie d’alarme incendie sur C’est Si Lisse et ses grognements maladifs. Un étrange interlude joué avec des relents de chanson française musette tranche avec le reste du set, voyant l’homme brandir son micro pour exciter la foule qui ne demandait que ça. On s’approche de l’explosion d’oreille, d’autant plus avec la suite de la soirée qui a vu s’enchaîner le grindcore italien de Germanotta Youth ou la french pop délirante de second degré de Baptiste Brunello.

Le samedi soir prend la forme d’un paroxysme avec des surprises et des moments de rare folie. On commence la soirée avec les Parisiens de Future et leur cold wave aux résonances shoegaze rêveuses et hypnotiques. Le trio attise un feu perpétuel avec des riffs lointains évoluant dans une certaine retenue et rappelant The Soft Moon. Malheureusement, quelques soucis techniques vont écourter le concert, ce qui aura énervé passablement le bassiste qui finira par projeter violemment son instrument et ses pédaliers. Promis, on reviendra les voir dans de meilleures conditions, car le peu qu’on a entendu nous a charmés.

Le duo fou Partout Partout, composé de membres de 100% Chevalier et de Pauwels, prend la suite en s’installant au milieu de la fosse, pile sous la chauve-souris géante. Voilà le groupe qui a certainement joué le plus fort et le plus rapidement de ces trois jours avec une batterie martelée à l’extrême et une guitare math-rock épileptique maniée d’une main de maître, certains passage rappelant même des flûtes orientales dispensés sur des cordes. La technique déployée est évidemment folle pour des énervements suivis de breaks et de rythmiques ultra-dansantes. Ça cogne sauvagement presque sans temps mort ni filtre, avec ce côté fosse aux lions d’un public qui entoure un groupe au plus proche de lui. Ça décrasse.

Le label October Tone enfile ses perles puisque les habitués Hermetic Delight prennent possession de la scène du Molodoï. Leur voluptueux shoegaze cold-punk s’extasie à mesure que la chanteuse nous ensorcelle d’une voix suave et enchanteresse. La réverb semble s’épaissir dans un fog qui encercle le quintet dans une tension génésique qui semble s’étirer comme un élastique pour finalement nous exploser au visage. La maîtrise est l’exact mot pour qualifier Hermetic Delight, qui semble avoir passé un cap avec la sortie de son disque Vow, enregistré live. Une certaine douceur ressort de ces nouveaux morceaux qui nous prennent par les sentiments avant de sortir leurs griffes félines. L’imposte Heartbeat I & II achève le concert avec son riff génial et ses répétitions « what you’d say », qui nous resteront dans la tête pendant le reste de la soirée. La magie a encore opéré.

Après un moment de flottement électro hypnotique avec A.C.C.C.O.U, nous retrouvons une autre pépite d’October Tone : le quintet Pauwels et son duo de batteries survitaminées. Le groupe s’installe encore une fois au beau milieu de la foule pour déployer un son lourd enchaînant les passages math-rock terrifiants, les breaks parfois entrecoupés d’un guitariste en tenue de prêtre maya hurlant dans les entrailles de sa guitare, et la basse à la fureur touchant au métal. De notre côté, on finit par prendre de la hauteur en s’installant sur une estrade pour surplomber l’arène lorsque le clou du spectacle arrive. Alors que Pauwels s'escrime encore, le rideau de la scène s’ouvre pour laisser place au trio britannique Barberos masqué derrière ses deux batteries et son synthé. C’est donc à quatre batteries que se terminera ce show géant avec les Pauwels dans la fosse et les Barberos sur scène, rejoints par le guitariste de Partout Partout divaguant dans le plus simple appareil. La collaboration est grandiose et on a rarement vécu une telle ambiance d’un public et de groupes en communion. Un très grand moment du festival dont on peine encore à décrire l’intensité.

On n’est pas encore au bout de nos surprises avec le duo France Mutant, qui commence mystérieusement son set avec un chevalier en armure et pantalon poilu, triturant son laptop, libérant une életro-pop aux beats dansants, et une chanteuse masquée qui se dévoilera peu à peu. Cette dernière enchaîne les lyrics déjantés en français avec cet extrait aux allures de tube aux lyrics « la guerre je bande, l’amour je débande, les dauphins je bande, la viande je débande » chanté à tue-tête. Le duo hilarant réchauffe l’ambiance puisque des danseuses et danseurs venus du public dans le plus simple appareil viendront danser autour d’eux tout en déployant un drapeau français géant. Une reprise du Blue Monday de New Order nous fera remuer encore plus, si c’était encore possible. Le show est complètement fou, un public en transe les rejoignant de plus en plus nombreux en sautant et dansant sur le mini-espace occupé par la petite scène transformé en orgie musicale. On n’en croit plus nos yeux mais cette démence frénétique se joue devant nos yeux ébahis dans une joie collective rarement vécue ! Du coq s’est échappé un alien et c’était à mourir de rire.

Pour terminer la soirée en beauté, la chanteuse de France Mutant détruira la piñata géante, laissant s’échapper confettis et masques en papier à se placer sur le visage pendant le concert de Barberos. Les deux batteries britanniques reprennent là où elles s’étaient arrêtées avec une puissance et une combinaison rythmique des plus complexes. Le synthé divague au milieu, rappelant une BO de film fantastique à la John Carpenter. Les trois musiciens se cachent derrière leurs combinaisons intégrales, enchaînant divagations krautrock et excitations noise. Les hypnotiques Barberos ont achevé idéalement un festival que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

La nuit se terminera sur un DJ Set de Rachid Bowie, chargé de faire danser les derniers survivants. La première édition des October Tone Parties est allée bien au-delà de nos espérances, certainement l’ambiance la plus folle jamais vécue en festival ! Bravo au label et à bientôt on l’espère.