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Live-Report
Sufjan Stevens - Grand Rex

17 septembre 2015
Rédigé par François Freundlich

Après avoir publié ce qui est sans conteste l’album de l’année 2015 (voire de la décennie), Carrie & Lowell, l’événement de la rentrée parisienne était ce concert de Sufjan Stevens au Grand Rex, pour l’une de ses rares apparitions en Europe. Nous l’attendions depuis quelques mois déjà, pensant le voir dans l’un ou l’autre festival estival mais non, il défendra finalement son album intimiste dans une poignée de lieux d’exceptions ou de théâtres. Nous arrivons donc face à l’enseigne du cinéma géant ou le nom de du songwriter du Michigan apparaît en géant face à nous. Ce n’est pas le requin géant de Hill Valley prévu en 2015 mais cela nous est amplement suffisant. On s’installe en balcon juste à coté des fameux décors en carton pâte de la salle avant de voir s’installer la parisienne Mina Tindle qui a l’honneur d’ouvrir pour Sufjan Stevens sur quelques dates de sa tournée européenne.

Voilà un sacré tremplin dans une carrière pour cette jeune femme qui fût poussée à la musique par la star du soir (ainsi que par les Eurockéennes de Belfort). Elle s’avance seule avec sa guitare face à la salle immense et débute non sans sourciller quelque peu. Mina Tindle ne se laisse pas impressionner par l’imposant Grand Rex et dévoile ses compositions brutes et touchantes empreintes d’un calme tout relatif parfois perturbé par des boucles enregistrées de sa voix changeante et spatiale. Sa folk minimale aux accords parfois tortueux nous aura charmée pendant ce court concert qui aura conquis un public dans l’attente du show principal, nous prenant par de multiples sentiments pas forcément attendus. Une très bonne surprise à approfondir, puisqu’elle ne se produisait qu’en duo ce soir, confirmée par Sufjan qui lui rendra hommage en avouant adorer sa musique.

L’émotion est palpable lorsque Sufjan Stevens et son groupe s’installent au milieu d’une installation assez imposante occupant l’intégralité de l’énorme scène. Dès les lumières éteintes, le songwriter s’asseoit un peu perdu à son piano sur le coté de la scène pour entamer directement Redford (For Yia Yia & Papou), extrait de son album Michigan. Cette introduction instrumentale aérienne et mystique prend la forme d’un hommage à son histoire familiale qu’il parcoure dans son album Carrie & Lowell (qui sont ses parents), dont il jouera l’intégralité en première partie de concert. Il s’empare de sa guitare pour entamer le premier titre de ce dernier album, Death With Dignity et nous voilà aussitôt statufié par sa voix saisissante, passant de ces graves semblant s’écouler comme une couche de feuilles automnale sur de la lave en fusion à des chœurs aigües et spirituels donnant l’impression qu’il va déployer ses fameuses ailes d’anges comme un organe fantôme. Des écrans en forme de bandes horizontales incomplètes diffusent de vieux films de famille Super 8 de son enfance : ses parents, ses frères et sœurs, éclairant son groupe composé entre autres de la merveilleuse Dawn Landes ou encore de Nico Muhly aux chœurs, guitare et claviers.  Le premier choc étant passé, nous voilà persuadé que nous allons assister à une prestation mémorable. Le premier tiraillement de gorge arrive à l’entente des accords de Should Have Known Better, composition parfaite écoutée des dizaines de fois depuis sa sortie. Sufjan Stevens est comme touché par la grâce, simplement éclairé par ce spot et égrainant le texte si personnel de ce morceau qui restera comme une grande composition contemporaine. Les arrangements de studio intimiste se trouvent entièrement revisités lors du changement de coloration finale du morceau. Des nappes synthétiques le prolongent, une rythmique s’impose, des chœurs envoutant l’envahissent. Le titre revêt ses habits de lumières, s’éclaire sur ce « illumination » répété par le chanteur sur la fin. Frémissement.

Les échos infinis de sa voix et de sa guitare acoustique sur Drawn to the Blood nous plongent dans une introspection magique débouchant sur un océan synthétique, prolongé par une version électronique de All Of Me Wants All Of You qui a subit un lifting complet avec des beats laid-back et un phrasé rythmique remodelé pour une version psyché new-age. Le moment hors du temps restera cette version dépouillée de Eugene, Sufjan restant seul sur scène avec sa guitare acoustique. On aimerait simplement être assis devant lui en l’admirant les yeux humides tandis qu’il s’envole dans cette ballade, complainte mêlant textes citronnés, chœurs lointains et mélancolie abrasive. Ce titre bouleversant ira jusqu’à tirer quelques larmes au chanteur dont la voix se fera chevrotante sur son déchirant « What’s the point of singing songs if they never even hear you ?». Ces nouveaux titres se révèlent difficiles à interpréter : le décès de sa mère est omniprésent, autant dans cet album de deuil que dans ce concert qui parviendra malgré tout à prendre quelques tournures plus joyeuses. Les échos persistants en arrière plan sur cette version piano voix de John My Beloved sont renforcés par ces jeux de lumières oscillant entre une noirceur tourmentée et une lumière géante s’élevant du sol aux plafonds, passant par nos visages subjugués en balcon. Les ballades intemporelles comme The Only Thing débutent dans cette invisibilité solitaire avant que le groupe n’apparaisse dans la lumière et n’envole le tout dans des chœurs et  des orchestrations de pianos et cuivres. Chaque morceau de cet album parfait nous donne l’occasion de nous extasier comme cette version synthétique de Fourth of July se terminant par ces répétitions en crescendo entêtants et grandiloquents de « we’re all gonna die » répétés, emmenés par un tambour battant et des nappes cuivrées haletantes.

Un autre moment magique est ce fabuleux duo vocal entre Sufjan Stevens  et Dawn Landes sur No Shade in the Shadow of the Cross. Les deux voix s’emmêlent idéalement sur l’une des plus belles ballades folk qu'il ait écrite, un instant rare de perfection absolue est atteint : nous n’en ressortiront pas indemne. Le groupe prend alors de plus en plus d’importance dans le concert depuis cette version éléctrisante de Carrie & Lowell qui conclue quasiment l’expérience de l’album du même nom. Sufjan Stevens va alors parcourir d’anciens morceaux pour notre plus grande joie.  Nous retiendrons pendant longtemps ces envolées exquises sur Vesuvius ou le chanteur mimera ses textes par des gestes de cet hymne en chorale ou Sufjan reprend son propre prénom dans ce refrain entêtant qui nous donne l’envie de se lever pour aller danser au premier rang. Si seulement nous avions des cordes d’escalade pour descendre le balcon en rappel. Après un pont instrumental, il se saisira finalement de sa fameuse flûte à bec pour conclure ce passage d’une rare intensité. La première partie du concert se termine sur Blue Bucket of Gold, prolongée pendant plus de dix minutes dans un instrumental de noise orchestrale qui poussera le volume jusque à faire trembler le décor de la salle. Le Vésuve a finalement explosé.

Le rappel sera généreux pour un concert qui aura largement dépassé les deux heures, le chanteur ayant retrouvé sa fidèle casquette et finalement dit quelques mots de remerciement juste après un émouvant piano voix solitaire sur Concerning the UFO Sighting Near Highland, Illinois. L’album Illinois y prendra d’ailleurs une grande place, si ce n’est une incursion sur l'album Seven Swans ou Sufjan Stevens sortira son banjo pour nous bercer avec In The Devil’s Territory . La fin du concert sera plutôt calme, à l’image de la douceur de la ballade Casimir Pulaski Day, un peu comme si tout ce bonus restait entre nous. Même le fameux tube Chicago qui conclue le concert sera presque murmuré, oubliant toute sa grandiloquence pour se parer de ses plus simples habits : une guitare acoustique, des chœurs scintillants et un léger piano. Sufjan Stevens et son groupe nous quittent après une dernière révérence à genou sur le devant de la scène devant la deuxième standing ovation de la soirée.  Cette prestation parfaite restera dans nos mémoires parmi l’un nos meilleurs concerts auquel nous ayons pu assister. Nous avons eu la chance de pouvoir voir ce grand songwriter de notre temps sur la tournée de l’un de ses albums les (le ?) plus réussis et l’envie d’y retourner se fait déjà ressentir.

2015 est sans conteste l’année Sufjan Stevens.


Merci à Daisy Gand pour les aquarelles