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Live-Report
Trans Musicales de Rennes 2016

11 janvier 2016
Rédigé par Jonathan Jägermeister

Après quelques jours passés à Rennes, il faut prendre le temps de trier ce qu'on a vu, patiemment, se remémorer un peu les allers-retours entre le hall 3 et le hall 8 après avoir grappillé une bière. C'est le moment le plus dur, celui où on retrouve ses esprits et on se demande ce qui nous a le plus marqué : les moments de simple plaisir sans réfléchir ou les profondes interrogations et incompréhensions face à des costumes grecquo-bizarroïdes. Difficile à dire. C'est aussi ça le plaisir des Trans. Alors il faut étiqueter un peu tout ça, reprendre bout à bout, ordonner, classer, justifier. En 2015, une nouvelle fois, les Trans Musicales ont balayé large mais il faut réduire l'ensemble au plus simple. Tour d'horizon de trois jours (jeudi, vendredi et dimanche) aux Trans Musicales, en étiquettes abusives mais pratiques.

Vintage de raison

Grande tendance de l'année au Parc Expo, de nombreux groupes ont rendu hommage à ce qui se faisait déjà avant. Par exemple, le groupe malgache The Dizzy Brains a livré une prestation honnête débouchant sur une drôle de reprise de Jacques Dutronc, ne dénotant pas du reste du concert. Leur set, sans surprise et manquant un poil d'exotisme, reste un des bons moments de la soirée du vendredi. De la même manière, The Vintage Trouble ou les Suisses Grand Cannon ont usé d'une bonne dose de volonté pour satisfaire autour d'un son plus convenu et sans surprise... Mais le plus sincère et le plus sympathique des concerts de la sorte, finalement, sera le dimanche. JP Manova et son live band ne réinventent pas le hip-hop. Mais ce n'est pas ce qu'on leur demande. On s'amuse plutôt des quelques paroles chopées dans le flow old school de JP, ancien acolyte de Doc Gynéco, qui passe en deux temps trois mouvements du caniveau parisien aux performances sportives du LOSC légèrement moquées – pourtant, ça va mieux maintenant de ce côté-là. Et dans le versant soul, Son Little a rempli son contrat haut la main. Son set, très propre, presque trop, met en exergue une voix impeccable et superbement maîtrisée. Même les plus réfractaires au style d'école du bonhomme doivent s'y résoudre : avec le gars de Philadelphia, c'est toujours sunny et sympathique à souhait.

Fort à la mode`

Dans la veine rock, les Trans ont toujours leur petite sélection prompt à faire remuer des fesses, un peu. Et si Queen Kwong joue trop à la diva pour qu'on se prenne au jeu du déferlement d'énergie, les Suissesses The Chikitas, un peu brouillonnes dans l'ensemble mais offensives, gagnent la partie. Passer les voir à l'Ubu s'avère ne pas être une mauvaise idée pour se mettre dans le ton du festival, un jeudi, en tout début d'après-midi. La salle du centre-ville rennais est d'ailleurs bien remplie à ce moment-là et il faut se serrer pour entr'apercevoir quelques formes sur scène et prendre part au concert avec un plaisir non-dissimulé, à force de se laisser bercer par l'ambiance. Au niveau de la scène locale, présente l'après-midi à l’Étage, Kaviar Special s'en sort plutôt bien en fin de vendredi. Leur garage rock prend rarement – pas assez ? – le temps de respirer, ce qui présente le fâcheux risque de lasser mais qui révèle une certaine honnêteté dans la démarche. Alors que Georgia, elle, joue trop fort, trop vite. Il y a de quoi se péter les oreilles en quatre secondes dans le hall. C'est un non, là aussi sans concession possible. Alors... à bien y réfléchir, pour mettre un groupe en avant pour la puissance de son rock, on fera plutôt appel au hip-hop de l'Ecossais Hector Bizerk. Show le plus communicatif du festival, avec un MC suffisamment à l'aise pour demander au public clairsemé d'un début de soirée au Parc Expo de faire des allers et venues entre position assise et sauts en l'air, avec une batteuse qui met la voix quand il le faut, Hector Bizerk était la caution fusion rock-rap qui fait encore plaisir en 2015. Surtout avec un accent à couper au couteau. Une franche réussite.

Étrangetés à la mer

Tête de pont de la catégorie, Klaus Johan Grobe et son farfisa allemanénique donnent enfin de la douceur à la langue allemande – mais les vrais savent qu'elle est douce – dans une alliance qui surprend mais fonctionne très justement. Côté parc expo, 3somesisters lasse rapidement dans son délire mais a le mérite d'ouvrir une nouvelle voie, dans un truc hédonisto-grec qui célèbre le transgenre total et complet. Si aucune de ces expériences n'envoûte autant qu'Orchestra Of Spheres il y a quelques années, il n'y a pas non plus de quoi suffoquer de déplaisir. Tout juste on reste un peu... circonspect et déçu face à une audace qui ne prend pas sa pleine mesure. Comme devant Het Universumpje, dont le nom imprononçable pouvait laisser espérer un peu de folie, au moins du chelou. Au lieu de quoi, sans être désagréable, c'est un peu trop classique pour dérider la fatigue. Finalement, le plus bizarre aura été Clarence Clarity pour le look, chamarré et quasi-loufoque, dont on retient malheureusement plus les vêtements que la musique.

Electrode attaque explosion

Pour fans et moins amateurs d'électro, il y avait Binkbeats en haut de la watch list. Très attendu sur le papier, très intriguant sur scène avec sa multitude d'instruments qui l'entoure. Malheureusement, à l'heure qu'il est quand il passe, l'humeur n'est pas trop à rester extatique et ébahi devant sa prouesse. En passant le chemin, on loupe sûrement un truc. C'est un peu à regret. Mais tant pis. Dans le large choix proposé par le grand hall des Trans Musicales pour tout ce qui concerne, il y a bien Jacques qui devait sortir du lot. Mais les expériences du jeune Français peinent à prendre finalement toute l'ampleur attendue et on évacue assez vite pour privilégier le repos.

Pop décolle

Le grand point fort de cette édition a été dans les groupes à la recherche du meilleur des équilibres possibles entre pop harmonieuse et électro envoûtante. Tour à tour, d'Inuït au projet mené par le triptyque Code, Superpoze et Kid Koala, il y a eu les occasions de se laisser porter par de beaux mélanges. Pour certains, la chute a été brutale et le charme rompu ; mais d'autres, nombreux, ont réussi leur numéro d'équilibristes avec brio. La palme revient largement aux instruments classiques intégrés comme si de rien n'était aux notes allongées de Superpoze. Instant d'enchantement qui aurait presque fait oublier qu'on était tous là debout dans un hall froid et non lové au coin du feu à profiter au maximum du son proposé. Encore au régime instrumental et temps fort du festival, attendu par le public, Totorro n'a pas seulement satisfait les locaux. Pendant une petite heure, entre invités et morceaux envoyés avec un certain doigté pour maintenir l'ambiance, Totorro a tenu le pari. Son pari. Sans relâcher l'effort, leur pop atmosphérique a fait le boulot pour créer un petit moment de plaisir. L'inévitable comparaison avec les grands frères Mermonte fait forcément un peu mal, mais sur le moment, il n'y a pas de quoi bouder son plaisir. C'était bon, c'était beau, c'était plaisant et c'est bien tout ce qu'on demande. Et par la voix, certains groupes ont su être émouvants à leur tour. Côté Canada, Dralms est séduisant grâce au chant haut perché mais aussi un poil somnolant pour du live ; côté néerlandais, Klangstof a fait du bien et rafraîchi les idées du vendredi après-midi en maniant la sensibilité du public un peu fatigué efficacement ; côté américain, le très jeune Elliot Moss a surpris son monde en ouverture de la dernière des nuits. Très à l'aise, le lunetteux aux cheveux bouclés devrait faire très vite son petit trou dans les ondes et les salles. Son concert a été brillant de naturel. Et s'il ne fallait garder qu'un souvenir, un seul, ce serait peut-être bien lui.