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Chronique de disque
Thee Silver Mt Zion Orchestra - Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything

13 mars 2014
Rédigé par Sylvain Calves

 

Thee Silver Mt. Zion Orchestra – Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything


Sortie le 20 janvier 2014


Note : 4/5



 

Étrange histoire que celle de cette formation, née dans le giron de Godspeed You! Black Emperor pour peu à peu en devenir une sorte de petit frère dégénéré. La légende prétend ainsi que A Silver Mt. Zion fut créé pour que Efrim Menuck, membre des deux groupes, puisse apprendre à écrire de la musique (comme si les Montréalais en avaient besoin). Une autre histoire tout aussi persistante voudrait que le premier album fût enregistré pour rendre hommage à la mort de son chien (?).

Comme dans X Files, la vérité est ailleurs. Et le groupe n’a pas pu cacher bien longtemps ses véritables ambitions, autrement plus nobles. Cette musique est en fait politique. Tendance anarchique. Les thèmes abordés au fil d’une discographie plantureuse laissent ainsi peu de place à l’interprétation. Qu’il s’agisse de vomir la guerre en Irak sur le disque Horses In The Sky, apporter un soutien au mouvement anarchiste des Black Bolt sur leur deuxième album ou de fustiger ici la crise économique dans toutes les grandes largeurs.
Mais cet engagement ne s’arrête pas là et se retrouve jusque dans la musique elle-même : hors format, parfois criarde, alternant bruits maximums et touches de grâce, se souciant peu des distinctions entre beauté et laideur. L’important ici est avant tout de déverser, au sens large du terme. D’engagé à enragé, il n’y a qu’une lettre dont le groupe semble ici se contrefoutre. Tendu de bout en bout quitte à frôler la syncope, hyper actif et sentant fort la transpiration excessive, ce nouvel album suinte la rage comme la frustration. Un disque sauvage, quasi punk par son côté « mal léché », qui n’offre que peu de respiration et ne se soucie jamais d’être accessible. Qu’on aime ou pas, difficile de rester indifférent tant le résultat force l’admiration pour cette liberté rare et absolue.

Paradoxalement, tout commence ici par les mots d’une petite fille qui pourraient s’apparenter à une comptine délicate. Mais la forme et le fond n’ont en fait aucune adéquation et les anglophones comprendront que cette douce intervention constitue une véritable mise en garde : « We make a lot of noise » nous susurre la petite…
Des guitares massives et acérées, taillées en pointe pour faire mal, débarquent alors sans crier gare. La voix ne prend pas la peine de s’échauffer et démarre au quart de tour, directement dans les extrêmes. Ça braille à tue-tête et ce sera comme ça tout le temps. L’entrée en matière est aussi fracassante que fracassée.
Nous ne savons pas où nous allons, mais nous y allons à toute berzingue, un peu comme on part à la guerre, sans avoir le temps de se poser de questions. Tout ici semble nous dire que la fin est proche, inéluctable, alors que le mur pointe déjà à l’horizon et que le crash semble impossible à éviter. Dans ses derniers instants, la chanson s’enfonce dans la boue tandis que le rythme se fait plus lourd. Autour de nous, les gens tombent comme des mouches. Pourtant, nous continuons d’avancer coûte que coûte. Le corps continue de marcher quand la tête ne fonctionne plus.
Austerity Blues (assurément le morceau de bravoure du disque) enfonce définitivement le clou. 14 minutes de furie vengeresse dédiées aux oppressés d’une majorité silencieuse saignée à blanc. Les frustrations étant nombreuses, le morceau ne fait pas dans le détail. Chargée à bloc, incapable de retenue, la composition évoque un crachoir de saloon que l’on n’aurait pas vidé depuis des années. Forcément, ça déborde et le contenu n’est pas très ragoûtant. Et pourtant au milieu, perdue dans le fracas noirâtre et le magma indistinct, nous distinguons une certaine beauté soigneusement dissimulée sous des couches de bile persistantes.
La suite propose encore autre chose, en donnant à entendre ce qui peut s’apparenter à une bande de druides sous acide et en pleine messe noire. Oui, il y a des incantations quasi celtiques à l’œuvre ici. Le reste autour est inchangé : les tempes palpitent, le cœur peut lâcher, il faut toujours crier et faire du bruit. C’est ici que l’album flirte le plus avec le trop-plein. Les deux morceaux précédents nous ont laissés à terre, époumonés et à bout de souffle. Perfide, le groupe en profite alors pour nous filer des coups de pompe dans la mâchoire.
La parenthèse minimaliste suivante est trop brève pour se débarrasser du goût du sang dans la bouche. Un nouveau morceau s’annonce déjà dans une tonalité cette fois différente. What We Love Was Not Enough n’est pourtant pas la ballade escomptée pour rassurer l’auditeur. C’est une composition malade, certes de prime abord plus aimable. Sauf que le lyrisme exacerbé met ici tout autant à mal que les morceaux plus ouvertement énervés. Comme si on croisait Arcade Fire en pleine descente une nuit à 5 heures du matin dans une soirée qui n’en finit pas de mourir. Ce moment particulier où la fête vire parfois au glauque, lorsque tout le monde songe à partir, quand quelques derniers morts-vivants s’attardent encore et que chacun sent poindre l’aube naissante comme la gueule de bois qui tabasse. Et qu’on ne comprend plus très bien quelle est cette étrange volonté qui nous pousse encore à rester. Du panache, sans doute.

Un appendice pour finir, construit autour de l’extrait audio d’une interview donnée en anglais et traduite simultanément en français : « Tout ce que l’on peut dire c’est que la musique c’est vraiment une façon de vivre et pas quelque chose que l’on fait pendant les week-ends. La musique ce n’est pas seulement quelque chose que l’on fait sur scène, c’est quelque chose auquel tu donnes ta vie, c’est comment tu es, comment tu vis et ce que tu fais. Et nous, on va continuer sans aucun doute ». Joli message et beau discours. Mais ces dernières mesures renvoient à une tout autre impression : l’atmosphère est crépusculaire en diable et ne semble rien annoncer de bon pour l’auditeur éreinté, abandonné sans repères et saigné à blanc. Peu importe. Nous avons pu l’espace d’une heure hurler colère et dégoût à la face de toutes et tous. Un plaisir rare aujourd’hui dont la principale vertu est de nous permettre de retrouver un peu de dignité.