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Chronique de disque
Arcade Fire - Reflektor

13 novembre 2013
Rédigé par François Freundlich




Arcade Fire - Reflektor

Sortie le 28 octobre 2013

Note : 4,5/5






Lorsqu’un groupe ayant atteint une consécration générationnelle telle que Arcade Fire, devenant l’un des (le ?) groupes les plus marquants de la dernière décennie, le moindre signal de nouveauté est scruté des mois avant. La hype s’emballe, nourrie par le groupe lui-même avec une stratégie bien rodée de livraison d’information au compte-goutte et autres secrets bien gardés. Pour la sortie de Reflektor, il fallait savoir avant tout le monde, acheter avant tout le monde pour voir le concert avant tout le monde. Voilà une tactique qui en a décontenancé certains, surtout ceux qui ont pris leur temps pour bien écouter et chroniquer après tout le monde.

En 2004, Arcade Fire livrait son chef-d’œuvre Funeral, écrit dans la souffrance mais doté d’une puissance bouleversante à couper le souffle et de compositions magistrales entre mélancolie et exultation dès son premier morceau. On ne s'en est toujours pas remis. Neon Bible lui emboîtait le pas, dans la retenue et avec plus de complexité pour appréhender tous les déliés d'un grand album, avec des sommets comme Ocean of Noise et My Body is a Cage. Enfin, The Suburbs rapprochait Arcade Fire d’une pop grand public les ayant propulsés vers les plus hauts sommets des charts avec les récompenses en conséquence. Et maintenant ?
Sur Reflektor, ce quatrième album, les Québécois se libèrent de tout carcan, dépassant le rock ou la pop pour flirter vers l’électro ou des influences que l’on ne soupçonnait même pas. Les rythmes à tendance électro-disco y sont bien plus présents, rendant l’atmosphère joyeuse mais moins poignante. Les violons mélancoliques laissent leur place à des nappes synthétiques, alors que des percussions prolongent les beats amenés par James Murphy, ex-LCD Soundsystem. La problématique était de savoir si Arcade Fire n’allait pas y laisser sa face écorchée en se perdant trop du côté du dancefloor. La réponse est non puisque la force émotive des envolées jubilatoires est toujours présente et bien reconnaissable. N’oublions pas que Reflektor est un double album avec un premier disque bien plus excité que le second, restant dans un dépouillement et une modération davantage présente. Les titres s’y étalent de toute leur longueur là ou The Suburbs multipliait les morceaux courts. Arcade Fire nous a pris à contre-pied et continue de le faire dans la structure même des morceaux, faite de changements de rythmes et évolutions permanentes.

Ce qui nous touche avant toute chose, ce sont les voix à l’unisson de Win Butler et Régine Chassagne sur la dantesque Reflektor, qui n’est pas loin d’empocher le titre de morceau de l’année. Surprenante au premier abord, la chanson titre s’envole dans une multitude de synthés, rythmes et autres réflexions qui s’additionnent. Ils ont beau dire que leur amour est plastique, il en ressort plus grandi que jamais et la création s’en ressent. Les simples notes de piano qu’on adorait sur Ocean of Noise sont devenues des enchaînements de claviers ultra-dansants. Sur We Exist, Arcade Fire confirme l’influence majeure du son des 80’s avec les Talking Heads en point de mire comme sur ces chœurs « nanana ». La basse chaloupée anime un morceau restant dans cette intériorité qu’on leur connaît, rejoignant le titre Modern Man dans sa construction. Arcade Fire dépasse le constat amer de l’homme moderne en se révoltant par son existence même. Le titre le plus surprenant est ce Flashbulb Eyes avec ses échos dub, ses marimbas et autres influences caribéennes. On connaît l’attachement du groupe pour Haïti et ce court morceau fusionne leurs deux karmas en un delirium de résonances cuivrées et infinies. Here Comes The Night Time est certainement le titre le plus jubilatoire, donnant l'immédiate envie de sauter sur place en agitant les mains. Les percussions sont irrésistibles, encore plus lorsqu'elles se calment subitement en un contretemps laid back et audacieux. La pop lyrique d’orfèvre s’impose, se voyant prolongée d’autres marimbas et de la voix essoufflée et teintée de mysticisme. Le final tonitruant s’élève dans une exaltation irrésistible nous rappelant celle de Neighborhood #3 (Power Out) sur Funeral. On tient bien là un nouveau titre emblématique. Le défoulement rock’n’roll se déglingue quelque peu avec Normal Person et son riff malicieux surplombant des accords tendus mais moins enivrants que sur le début d’album. Des basses old school et rockabilly s’imposent sur You Already Know, titre addictif ressemblant davantage à du Arcade Fire classique et semblant déjà provenir d’un live du groupe. Joan of Arc est la pop song qui ne fera pas l’unanimité, mais elle possède un potentiel d’écoute en boucle assez important, du fait des délicieux « Jeanne d’Arc oww » murmurés par Régine. Un non-francophone pourrait s’extasier sur ce passage en français chanté par Régine, mais nous aurons plus de mal à nous habituer. Si les autres passages en français apportent une réelle fraîcheur dans le maniement de la langue, on aura plus de mal avec ce phrasé et ce texte qui plombe cette chanson se terminant pourtant dans une mixture instrumentale assez géniale.

Ce premier disque apporte déjà son lot de richesse et une variété rarement égalée sur un album contemporain. Le deuxième disque débute sur cette reprise de notre favorite Here Comes The Night Time II dans une version dépouillée et tout en langueur, comme pour annoncer une deuxième moitié bien plus calme. Arcade Fire renoue avec le plus paisible Neon Bible dans une force plus contenue et une mélancolie davantage exprimée, à l’image des retours des violons de Sarah Neufeld, qui a du être rappelée dans le studio pour le second disque. Ils se prolongent sur le duo Awful Sound (Oh Eurydice) / It’s Never Over (Oh Orpheus) plus complexes avec une voix subitement recouverte par des dérivations bruitistes, des chœurs flirtant avec le gospel et une base acoustique davantage présente. Toute la finesse de la voix de Win s’exprime, rappelant plus que jamais Neil Young, tandis que Régine vocalise à tue-tête, ayant toujours l’air de parler aux étoiles. Porno : voilà un titre de morceau auquel on ne s’attendait pas, certainement le plus difficile d’accès et le plus dérangeant de l’album avec ces boucles de synthé stridentes et piquantes. Il est difficile de s’accrocher à quelque chose sur ce morceau qui s’écoule sans jamais nous toucher. Il est rattrapé par l’un des meilleurs passages de l’album, Afterlife, un véritable hymne digne de Wake Up et récemment symbolisé par un clip réalisé par Spike Jonze ou l’on voit cette demoiselle danser comme tout fan d’Arcade Fire a pu le faire durant l’un des concerts du groupe. Le refrain est efficace, prenant et peut se chanter immédiatement. Le texte est là encore métaphorique, l’histoire d’une chute en avant vers une inconnue suivant une partie de vie qui s’achève. Le long marathon Supersymmetry conclut le tout avec ses synthés restant dans une certaine quiétude. Le morceau s’achève, laissant derrière lui six minutes de divagations bruitistes, d’entremêlements beatlesiens faits de boucles et violons divers. Ils semblent rembobiner l’album comme sur une veille cassette pour nous inciter à le réécouter et il faut dire que cela fonctionne bien.

Ce quatrième album reflète ce qu’a pu être Arcade Fire sur ses trois précédents albums, en y insufflant un vent nouveau allant au-delà de ce que nous avions pu imaginer. Ce groupe possède cette capacité à surprendre et à ne jamais se reposer sur ses acquis, pour faire évoluer constamment sa musique comme un grand groupe sait le faire. Nous attendons désormais une tournée qui s’annonce sous les meilleurs auspices avec un tel sommet discographique.