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Chronique de disque
Trust - Joyland

16 mars 2014
Rédigé par Emilie Quentin




Trust - Joyland

Sortie : 4 mars 2014

Note: 4,5/5



 

Homonymie oblige, dissipons immédiatement tout malentendu. Si le climat actuel est propice au retour des Français d’Antisocial, ne vous y trompez pas, ce Trust-là nous vient de Toronto. Laissez donc votre révolte au placard et embarquez pour une synthpop protéiforme où la mélancolie côtoie ouvertement la frénésie.

Né de la rencontre entre Robert Alfons et Maya Postepski (beatmakeuse d’Austra), Trust prend son envol en 2011 avec Candy Walls, ballade « tubesque » noire et sensuelle. Dans la foulée, ils rejoignent le label canadien Arts & Crafts et sortent TRST, un premier album presque éponyme qui leur vaudra quelques belles places dans les tops 2012. En cours de route, Maya quitte le navire pour s’investir pleinement dans Austra. Seul à la barre, Robert présente Joyland comme « une éruption de tripes, d’anguilles et de joie ». Une formule alléchante et provocatrice que l’on choisit sans hésiter.

Calmement guidé par Slightly Floating, berceuse surréaliste, on entre dans Joyland à demi conscient. Le repos aura été de courte durée. Et pour cause, la cadence effrénée de Geryon nous plonge dans un dialogue entre humanoïdes sur fond de fin du monde. Obsédant. D’abord paru en 2006 sur le confidentiel Night Music, Capitol ressort des tiroirs relooké. Trust y salue l’horreur hitchcockienne (cri humain et hululement d’oiseau nocturne) et les 7 notes du thème d’introduction, entrelacs de gammes binaires, complètent l’immersion. Un tableau glaçant modéré par les bruits sourds d’une fête qui bat son plein à l’étage de cette maison hantée. La comparaison avec la version d’époque permet de mesurer le chemin parcouru. Joyland tient ses promesses : on y partage une ronde délirante avec un ange déchu et un monstre repenti, tous deux sous MD. Nous aussi ? Une pause est nécessaire pour digérer ces premières claques. Il faudra attendre le titre central, avec le mélodieux et envoûtant Are We Arc?, pour pouvoir souffler ; une séance de sophrologie ésotérique avant de reprendre du service sur le dancefloor. Si Icarbord et surtout Rescue, Mister se détachent indubitablement par la maîtrise du genre, Four Gut et Lost Souls/Eelings, plus itératives, livrent leurs trésors au fur et à mesure des écoutes.

Malgré le changement d‘équipe, on distingue nettement la signature du couple synthé/batterie. Puisant dans l’eurodance et les B.O. de jeux vidéo, ce duo discipline des beats acid house implacables et des nappes modulées alternativement d’outre-tombe, futuristes ou radieuses. La voix gagne en clarté et semble réfuter la théorie des genres en jouant à pile ou face : mystérieuse et chaude dans les tons graves, elle devient vibrante et plaintive en voix de tête. Si la plupart des titres se concentrent sur l’une ou l’autre des tonalités, Are We Arc? et Rescue, Mister comptent quelques jolis loopings vocaux. Quand Trust revient avec une identité vocale affirmée, Robert s’amuse et le charme opère. N’en déplaise aux fans de la première heure, ces 11 titres s’inscrivent dans la continuité d’une atmosphère étrange à l’énergie lancinante entrevue sur le premier opus (cf. les excellents Sulk et Dressed for Space). Avec Joyland, Trust étoffe savamment un répertoire electro-goth dont on aurait eu tort de définir clairement les contours. Composé durant la tournée et testé en live durant plusieurs mois, ce second volet est abouti, complexe et cohérent. Il passe avec brio l’épreuve du feu.

Timide sur TRST, la pop baroque, dansante et fantasque de Joyland affiche une ambivalence maniaco-dépressive décomplexée. Atmosphères, émotions, rythmes et tonalités, tout y exprime la tension d’une dualité ; à l’image d’une phobie qui repousse et fascine. Se laisser emporter par cette folie douce-acide semble nous conduire tout droit dans les bas-fonds d’un club underground de l’East London. Pousser les portes Joyland, c’est entrer dans un monde obscur où les ambiances festives flirtent souvent avec un danger indiscernable. Le spectre de New Order plane et on danse main dans la main avec Crystal Castles et Scratch Massive. Difficile de garder son sang-froid… On en ressort ébranlé, pleinement conscient du talent de Trust et confiant pour la suite.

Puisqu’en live, Trust tient ses promesses, notez qu’une date parisienne est prévue au Nouveau Casino le 9 juin prochain et à La Laiterie le 20 juin.