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Chronique de disque
Arcade Fire - Reflektor

10 septembre 2013
Rédigé par François Freundlich

Arcade Fire

Arcade Fire - Reflektor

Sortie : 9 septembre 2013

Note : 5/5






L’attente était fébrile depuis plusieurs semaines à propos de la sortie d’un éventuel single des héros montréalais Arcade Fire. Le collectif avait préparé un véritable jeu de piste en plaçant un logo contenant le mot Reflektor dans les rues de certaines villes ou en postant des informations au compte-goutte sur Twitter. On a finalement appris qu’un single devait apparaître le 9 septembre à 9 heures. Ce jour presque arrivé, on ne s’y est pas repris à deux fois pour appuyer au plus vite sur le bouton play et contenter nos oreilles du nouveau joyau de l’un des meilleurs groupes contemporains.

Reflektor est donc le premier extrait du futur quatrième album d’Arcade Fire, qui devrait marquer un tournant électronique dans l’histoire du groupe, puisque James Murphy de LCD Soundsystem était de la partie lors de son enregistrement. Son écoute confirme bien cette piste puisqu'une rythmique disco, au premier abord effrayante, s’élève dès le début du titre. Nous voilà bien décontenancés puisqu’on ne reconnaît pas Arcade Fire sur les trente premières secondes qui tiendraient bien plus de LCD Soundsystem. Entre électronique dansante et new wave gambadante, les synthétiseurs prennent les devants, prolongeant l’impression de la fin du troisième album The Suburbs avec l’enthousiasmante Sprawl II (Mountains Beyons Mountains). La voix discrète et aigüe de Win Butler raisonne finalement, suivie par celle de Régine Chassagne : nous retrouvons à partir de ce moment ceux qu’on avait laissés avec tristesse lors de leur dernière tournée au sommet d’une fabuleuse performance live. Pour une fois, le couple s’exprime ensemble et semble plus uni que jamais tant leurs voix se mélangent parfaitement. Régine parvient encore une fois à apporter cette fraîcheur dans un chant en français faisant plus que jamais honneur à notre langue. Un refrain redoutable et addictif lui succède, composé de ce « I found » libérateur qui commence à nous exciter quelque peu les sens après cette interrogation qui subsistait au départ. Les premiers « It’s just a Reflektor » s’enchaînent, suivis d’un silence, comme si une troisième voix manquait à l’appel.

Mais ces deux ou trois premières minutes n’étaient en réalité que les premiers sursauts d’un marathon, puisqu’un pont cosmique va élever Reflektor dans un hyperespace épique avec une décharge d’arrangements multicouches. La montée en puissance transforme ce morceau en une fresque colorée, résultat d’un amas de bruits synthétiques et d’échos de voix lointaines. Le volume augmente, le gimmick de synthé nous accroche, et nous décollons définitivement avec Arcade Fire : ils nous ont encore agripés dans leurs filets. On repense subitement à la force qui se dégageait de Neighborhood #3 (Power Out) sur le premier album Funeral et qui manquait parfois à l’appel sur Neon Bible ou The Suburbs, proposant une pop plus romantique, moins jubilatoire malgré son intensité écorchée au ressenti plus intérieur. Le cocon a explosé et Arcade Fire prend la pleine mesure de cette nouvelle orientation qui peut les porter vers les sommets. Peut-être pas les sommets des charts avec un single de 7:34, mais après tout pourquoi pas ? Paranoid Android est bien passé par là.

Reflektor est de plus en plus complexe alors que les cuivres se jouent de nous en même temps que ces chœurs pas si inconnus. Il est drôle de reconnaître et de retrouver sans s’y attendre David Bowie. Alors que notre cerveau reçoit déjà trop d’informations, voilà David Bowie qui s’interpose dans un nuage de fumée : plutôt une bonne surprise. Son intervention est aussi discrète que ne peut l’être une intervention du caméléon étoilé, un peu comme un reflet apparaissant furtivement dans un miroir noir. Win Butler verrait-il l’ombre de ce modèle se refléter sur tout son processus de création ? Assurément si l’on en croit ses textes : « thought you would bring me to the resurrector… turns out it’s just a reflektor ».
Le piano prend finalement le dessus, enrobant Reflektor d’une subtilité rappelant The Kinks ou les Talking Heads, mais toute propre à Arcade Fire. Cette touche les différencie encore plus de l’électro pure du début pour rapprocher Reflektor des meilleurs titres écrits par le groupe. Les voix se perdent en échos, se voient même modifiées, ne faisant que servir la rythmique alors qu’elles étaient tellement au premier plan sur les précédents disques : les voilà au service de l’instrumentation. On souhaiterait que ce moment dure bien plus que ces quasi huit minutes, mais il se tarit subitement dans un grincement sourd et des percussions, nous laissant songeurs avec l’envie de l’écouter encore et encore pour comprendre réellement ce qu'on vient d'écouter. Il en faudra des écoutes pour comprendre ce titre.  

Il est dur d’appréhender toute la portée de ce morceau puisque Arcade Fire a clairement choisi la complexité pour introduire son nouvel album, prenant le contrepied du morceau The Suburbs, qui introduisait leur dernier album bien plus simplement. Les Canadiens ne nous ont pas fait languir pendant des mois pour rien, l’attente en valait la peine et on se retrouve plus que jamais à attendre le 28 octobre pour la sortie de cet album qui espérons-le soit d’un aussi haut niveau que ce Reflektor.
See you on the other side.